Certains jours sont fastueux où vous recevez par la poste la surprise de livres dont vous savez immédiatement que vous allez pouvoir entrer en amitié et dialogue avec eux.
Ainsi se présente à vous Fensch, de Claire Jolin (photographies) & Hervé Scialdo (poèmes), publié aux éditions Orange Claire, deuxième titre d’une jeune maison fondée par Claire Jolin et Irène Scacciatella, pariant sur le temps long et l’ellipse pour aborder la richesse de la photographie contemporaine comme un roman foisonnant.
Fensch est une œuvre double sur la mémoire collective – la vallée de la Fensch est un haut lieu sidérurgique de la Lorraine -, le travail à l’usine, la dureté de la condition ouvrière, la pollution.

Que reste-t-il du monstre d’acier habitant le paysage, engloutisseur d’hommes et de force musculaire ?
Claire Jolin aborde l’usine noire comme un producteur d’imaginaire.
La substance de ses images en noir et blanc est amniotique.
Dans l’indistinct d’une nuit mémorielle apparaissent des formes, des entités, des corps, à la limite du fantastique.
L’entrelacement du monde présent et de du passé construit le jadis d’où procède le conte.
Des arbres ploient dans le vent, toussent, manquent d’air.
Le travail est une ronce qui attache.

Un œil s’ouvre dans les abysses, on ne comprend rien, il faut fermer les yeux, se laisser dériver.
S’avance vers vous un pèlerin tenant un bâton de divination, revenu des enfers, souriant. Lui seul connaît peut-être le sens de votre destin.
Le voilà qui chantonne (mots d’Hervé Scialdo) : « A Fukushima, on abat les arbres / pour en faire des violons. », « Charbon, / Quel prix a l’écriture sur ton dos ? », « Défier la gravité n’était pas autorisé ici. », « Las, laissés au sol. Vertige de ces étés fleuris, / les corps en équilibre sur un mur. »
Les oubliés du rêve industriel reprennent vie, ce sont des enfants portant cagoule dans les années 1960, des bambins morts dans la fournaise, des silhouettes d’arbres.
Construit avec soin – deux cahiers extérieurs de douze pages comportant un cahier intérieur de trente-deux pages, reliure origami -, Fensch se lit en silence, souffle coupé parfois par la beauté des images.
C’est un objet de résistance et de délicatesse.
Claire Jolin & Hervé Scialdo, Fensch, Les Editions Orange Claire / Collection PhotosMots, 2018 – 300 exemplaires