Il y a des matins comme ça où vous vous levez de mauvaise humeur, parce que vous sentez que vous avez vieilli durant la nuit, parce que les couleurs du jour ne vous conviennent pas, parce que le café est raté, parce que rien.
Il y aussi des matins comme ça où vous trouvez l’antidote à votre mélancolie, où vous renaissez de vos cendres, où vous vous dites que la vie vaut la peine d’être vécue à fond, où tout.
Vous avez ouvert World News, du photographe bruxellois Vincent Peal, publié dans une très belle édition en format italien aux Editions de Juillet, et vous vous réjouissez que ce type-là aime comme vous la musique radicale, le vodou, les marginaux, les dingueries de l’humaine condition.
Pas de longs propos explicatifs, de blablas interminables (deux courts textes encadrent son livre), mais des images plein feux, la vie dans son exubérance, son carnaval permanent, ses douleurs.
Barbara Mertens : « Chaque cliché qu’il signe est le résultat d’une rencontre, d’un coup de foudre pour un être humain, tel qu’il est, avec ses failles ses fulgurances, sa beauté, sa détresse, là où il se trouve, là où Vincent le trouve, au détour de ses nombreux voyages. »
Car Vincent Peal aime la danse contact, les regards francs, la drôlerie de l’existence, la vie crue.
Les portraits qu’il prélève aux quatre coins de la planète (Tel Aviv, New York, Londres, Le Caire, Sao Paulo, La Havane, Berlin, Istanbul, Shanghai, Calais, Detroit, Tirana) sont d’une âme fraternelle. Le voyageur errant cherche l’os, la peau, l’ivresse, l’échange.

Don, contre-don, et la vie vécue à cent à l’heure.
L’underground ne se cherche pas, il se trouve, il est partout, au coin de la rue, face à soi, en soi, maintenant.
Cadrages impeccables, accueillants, tranchants, réfléchis à l’instinct photographique.
Par terre, à côté du lit, il y a de bons bouquins, Diane Arbus, Nan Goldin, Weegee, Schiele, Bacon, et tant d’autres maîtres aux visages aigus.
Le monde est sale, les villes sont infernales, la misère est omniprésente. Pourtant, il y a eux, les invisibles, les saints, et toutes ces couleurs à boire des yeux, qui ôtent à la pauvreté son manteau de désespoir.

A Détroit, c’est la désolation, l’abandon, mais aussi la beauté de l’apocalypse, de la géométrie des rues, des formes tombées là comme des stations orbitales échouées.
Espérance de vie faible parmi les bricolages géniaux de la survie, et des visages jeunes où tout est encore possible.
Vincent Peal aime les corps irréductibles, les sexualités choisies, les identités de genre assumées – goût certain pour la transsexualité, et les anges du bizarre.
Downtown Manhattan, un homme torse nu, slip moule boules, une étole sur les épaules, cornes de diables et crucifix en bois dans la main, contemple un avatar de William Burroughs, c’est parfait.
Dans la rue, une black à la poitrine énorme juchée sur des hauts talons, très pieuse assurément, c’est parfait.

L’humanité du XXIème siècle s’affiche en piercings, tatouages, look cowboy ou voile islamique, c’est parfait.
Camarade, compagnon, ami, la folie rôde, tu peux te pendre avec, ou simplement l’aimer comme la meilleure part de toi-même.
A Calais, la Jungle brûle, c’est-à-dire des caravanes, des postes de radio, des valises, des rêves. Des hommes chassent des hommes. On peut lire sur un bloc de béton : Freedom for all people !
Les exclus prennent des coups, une sirène s’exhibe nue à Williamsburg (NYC), dans une décharge un enfant attrape une chaussure avec les dents (Sénégal).
On peut juger, évaluer, mais il convient de comprendre d’abord ce qui nous lie, ce qui nous sépare, ce qui nous déchire dans le spectacle des jours.
Drogue, sang, soleil, froideur, défonce, mort.
Police, sexe, bûcher, clochards du monde, révolte, rire.
Orphelinats, déserts, ruines.
Vous qui entrez dans World News au milieu du chemin de votre vie, n’abandonnez pas toute espérance parmi les damnés de la terre et les anges déchus, vous n’êtes pas tout à fait en Enfer, ni même parfois au Paradis, mais dans cette zone où s’inventent dans le déséquilibre partagé des gestes et des regards de solidarité.
Vincent Peal, World News, préface de Philippe Manche, postface de Barbara Mertens, Les Editions de Juillet, 2018, 224 pages
Vincent Peal, Bruxelles, ville ouverte, Les Editions de Juillet, 2014