Manger Bacon, l’aimer, par Perrine Le Querrec, poète, pythie punk

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« A la question « Quel écrivain vous a influencé ? », je répondrais sans hésiter : Francis Bacon. »

Pour dialoguer avec le continent Bacon, il fallait un écrivain hors norme, une sorte de pythie punk s’exprimant depuis les profondeurs du temps et du corps mis en branle, Perrine Le Querrec, auteure de livres à la singularité frappante, Les Tondues (Z4 éditions), Le Plancher (L’éveilleur éditions), Ruines (éditions Tinbad – chroniqué dans L’Intervalle), La Ritournelle (éditions Lunatique).

Bacon et Le Querrec, c’est une passion de l’archive, foulée aux pieds, sacralisée, des jouissances et des tortures par les images brassées, embrassées, embrasées.

« Je désirais profondément lui rendre hommage, d’une façon non pas narrative ni scientifique, mais de l’intérieur même de sa création, de son geste, de sa matière. »

Après avoir découvert la Francis Bacon MB Art Foundation à Monaco (collection créée par Majid Boustany), l’auteure de Rouge pute a ainsi composé Bacon Le Cannibale, livre orange de moyen format à la facture magnifique, bourré d’images et de photographies d’objets issus de l’atelier du peintre (publication Hippocampe Editions).

Francis Bacon, photographié depuis une voiture à la façon de Lee Friedlander, marche (image 1), décidé, manches du blouson de cuir noir remonté aux coudes, et ce n’est pas un homme que l’on voit, mais une rage, une butée, une boxe.

Des portraits, des pinceaux, un zèbre dépossédé de sa peau.

Les couleurs forniquent, c’est bien.

Les pinceaux sont tendus comme des sexes en érection, c’est bien.

Les déchets s’amoncellent sur la table de travail, d’ailleurs il n’y a pas de déchet, c’est bien.

Bacon va à l’os, aux tripes, au sang, qui est ravage, qui est amour.

Tout est muet dans la nuit de l’atelier, pourtant ça brame, ça crie, ça souffre, ça gicle, ça copule en faisant des grognements.

Giacometti face à Bacon : ils vont se foutre sur la gueule, se dévorer, se rouler une pelle.

Corps aux muscles bandés, fesses fermes, œil saoul contenant des pleurs.

Equarissage pour tous.

Aller à la bête quand il y a trop d’homme, arracher le rugissement sous le costume lacéré.

« Il existe de nombreuses trappes dans l’identité, tu en ouvres une, t’engages parfois par accident, parfois par conviction. Trap. Obsession du visage. Parfois tu ne peux plus en sortir ton visage au rasoir chaque question le blesse et ça respire bruyamment au fond de toi. Trappe. Corps des murs au plafond. Parfois caché tu te reprends dans cette faille où tu bats les cartes de ton identité redistribue le jeu. Trap. Déformation volontaire. Le grand foisonnement te tient de tout son poids amplifié, des figures éclosent, disparaissent se précipitent et tu dégringoles de trappe en trappe jusqu’à toucher l’absolu inconnu. »

Maintenant, des images reviennent, comme une obsession. La peau du zèbre est plus grande, elle vit, elle flotte en toi, elle est toi.

Bacon, c’est une déchirure, c’est une volupté, c’est une interminable mise à nu.

C’est un passage de Proust, sublime, trouvé par Perrine Le Querrec dans le volume Le Côté de Guermantes (1920) : « On aurait dit qu’une partie de ma poitrine avait été sectionnée par un anatomiste habile, enlevée et remplacée par une partie égale de souffrance immatérielle, par un équivalent de nostalgie et d’amour. Et les points de suture ont beau avoir été faits, on vit assez malaisément quand le regret d’un être est substitué aux viscères, il a l’air de tenir plus de place qu’eux, on le sent perpétuellement, et puis, quelle ambiguïté d’être obligé de penser une partie de son corps ! »

Il faut relire cela, l’apprendre par cœur, le jeter comme un filet de gladiateur sur les êtres que nous aimons, et ceux que nous convoitons, quand l’on sait d’instinct que le festin des corps s’engloutissant sera parfaitement réussi.

lequerrec

Perrine Le Querrec, Bacon Le cannibale, Hippocampe Editions, 2018, 80 pages

Hippocampe Editions

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