Le néant, et puis le monde, par Jean Hervoche, photographe

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© Jean Hervoche

On pourrait voir les photographies de Jean Hervoche comme des logogrammes, des totalités de signification un peu étranges, doucement inquiétantes.

Ce sont des traces dans le nu de la vie, des empreintes d’existants.

Ce que nous appelons réalité procède de la paresse de notre regard. Parce que nous ne voyons rien, ou peut-être simplement notre ombre nous poursuivant, comme une menace, un doute sur notre intégrité physique, nous avons besoin des artistes pour qui travailler dans l’ouvert et l’inconnu relève d’une nécessité intime.

Jean Hervoche est de ceux-ci, qui marche, qui voyage, qui photographie des densités de matières, de paysages, de visages, de solitudes.

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© Jean Hervoche

Il y a des mystères d’êtres parce qu’il y a des mystères de lumière, des déserts, des sommets inhabités, des flaques gelées, des noirs profonds.

A l’orée de Terres nues, livre splendide publié aux Editions de Juillet, le photographe s’explique : « Le monde immense relaté ici, à travers l’éclat d’une poignée d’images, me ramène soudain à un tout petit endroit de l’univers, source de rêve, d’imaginaire, de contemplation, de souvenir, de visage et de voix. Même si nous ne les entendons pas vraiment, les photographies sont bavardes et entrent avec nous en conversation. Elles vont saisir ce point d’enfance et savent en dérouler le fil. »

Des images bavardes, ou taciturnes, des réserves de paroles essentielles, définitives, faisant taire quelques instants au moins le rire des assassins.

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© Jean Hervoche

Jean Hervoche ne donne pas la provenance géographique de ses images. Quelle importance qu’elles soient de Bretagne, d’Afrique, d’Europe ou d’Amérique, quand la route est une épreuve de vérité, et la longue marche une façon d’aller vers le dépouillement ?

De terres en terres, d’îles en îles, de corps en corps, l’artiste rassemble des notes dans la chambre d’écho de son livre.

Quand on sait la vivre comme une puissance de beauté et de sauvegarde, la nature sait se montrer exclamative, faisant le don d’elle-même sans retenue.

Toute apparition s’arrache ainsi momentanément à l’engloutissement, au néant, à l’incréé à quoi tout retourne sans cesse.

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© Jean Hervoche

Il y a des miracles de métamorphoses, des poussières devenant montagnes. S’ils sont spectaculaires, il convient de comprendre qu’ils sont rarissimes dans l’ordre général de la création.

Voilà pourquoi peut-être Jean Hervoche photographie en noir & blanc, dans le rappel de l’inouï de ce qui surgit là devant lui, et de ce qui pourrait aussi vite s’évaporer, comme une persistance de neige sous une pluie d’atomes en fusion.

L’artiste a confié à l’écrivain Joël Vernet (des dizaines de livres chez les meilleurs éditeurs) le soin d’accompagner par ses mots son poème visuel. Ce sont des blocs de paragraphes dérivant aux premières pages du livre, des bocks à entrechoquer dans la chaleur de l’amitié.

Joël Vernet ne commente pas, mais dialogue en sensibilité avec des images qui le troublent, développant les siennes à partir de celles de son camarade des confins : « J’aime tout ce qui échappe à notre pauvre raison, à nos âmes de boutiquier. J’aime l’enfant qui passe les seuils sans demander la permission, qui s’en va à travers champs, vers n’importe où, porté par le plaisir, le désir, cette liberté s’ouvrant comme les fleurs dans mon jardin avec lesquelles il m’arrive souvent d’entrer en grande conversation. »

Jean Hervoche est un homme aux semelles de vent, s’attardant derrière les portes des fermes quand la fureur du ciel impose de se rapetisser.

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© Jean Hervoche

Ses photographies de format carré sont pleines de nuages, de terres, d’eaux, de neiges, de rocs, de maigres végétations. Elles ont la bouche pleine de cailloux.

C’est à la fois le matin du monde et sa nostalgie.

Passe un humain portant un drapeau écossais, dérisoire et obstiné dans la grandeur du paysage.

Passent des fantômes d’enfants, une mariée, un visage clownesque, une personne âgée traînant du petit bois.

Nous sommes ici dans des territoires de survie remplis de marécages âpres et de labyrinthe de pierres où perdre son âme, avant que de la retrouver, tordue, rincée, neuve.

La terre pourrait s’ouvrir et engloutir le photographe pour un dernier voyage, d’ailleurs, c’est ce qu’elle fait.

Un cheval au galop apparaît soudain, c’est un messager psychopompe prenant son envol.

Et l’on comprend enfin que Jean Hervoche aura moins photographié le monde que l’outre-monde.

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Jean Hervoche, Terres nues, texte de Joël Vernet, Les Editions de Juillet, 2018, 96 pages – 50 photographies

Site de Jean Hervoche

Les Editions de Juillet

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© Jean Hervoche

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