
Il y a dans Le Conte du Graal, de Chrétien de Troyes, un épisode fameux.
Après avoir assisté à la merveille d’une lance blanche dont la pointe saigne, Perceval le Gallois aperçoit un matin, alors que l’armée du roi Arthur partie à sa recherche dort encore sur une prairie enneigée, trois gouttes de sang d’une oie piquée par un faucon lui rappelant la fraîcheur colorée du visage de son amie.
S’oubliant alors, le chevalier connaît une extase.

La vision mène à la vérité, elle est vérité. La distance entre l’objet vu et le regardeur se trouve abolie en un éclair, c’est le passage d’une épine de pin dans l’air.
Il faut pour cela l’association de deux couleurs, un cœur prêt à aimer dans ses blessures, un feu brûlant sous la neige des jours, un choc visuel.

Quand je vois les dernières peintures de Matthieu Dorval, je pense à cette héraldique ardente, et à tout ce que le peintre contemporain reçoit en héritage des mystères de la lumière pensés par ses prédécesseurs.
Pourquoi faudrait-il le nier ? La théologie de la lumière est manifestation du divin dans l’art. Dieu peut être chrétien, mais il est plus large qu’une unique confession.
Pour le peintre finistérien, il peut être catholique, dans le spectacle abstrait d’une élévation, ou de pure énergie taoïste quand le mont Taishan est un océan de bleus recelant de l’or.

Ses peintures sont des buées de couleurs se posant sur le vide, des nuées s’éloignant à une vitesse vertigineuse des humains suffrages, volant selon leur propre logique.
Aucun marécage psychologique, mais des rapts opérés par des toiles ne craignant pas d’être voluptueuses, des vivacités de ciels, de roches ou de molécules brassées par les pinceaux.
Ce sont des territoires accessibles à la joie, des zones de turbulence d’autant plus sereines qu’elles ont d’abord lancé un cri, et ne réclament rien, fors notre pure présence.

L’univers pictural de Matthieu Dorval est un champ de particules élémentaires, un monde premier, une pluie de comètes sans vengeance, des rencontres de planètes se désirant dans l’impossible.
Les couleurs vibrent, coulent, s’éclaboussent un peu.
Ce sont des fleurs de pavot répandant du sang.

Comme ses maîtres de la première Renaissance vénitienne se souvenant de Byzance, Matthieu Dorval aime les multiples, diptyques, triptyques, polyptyques, qui sont souvent moins des déclinaisons de thèmes, que des vis-à-vis de singularité et des épisodes de liberté.
La peinture de Matthieu Dorval propose un allègement, participant d’un bonheur de l’œil, comme un ensemble de pulsations colorées menant vers des espaces neufs et saufs.

On reconnaîtra ici ou là des formes de la réalité figurable, mais le mystère d’être est encore plus profond qu’une simple montagne, ou un océan. Il gît dans l’épaisseur d’un voile, qui est une véronique de nos états intérieurs.
Ainsi les toiles vives du peintre, qui sont une force qui va, saisissent de l’infiniment grand dans l’infiniment petit, et des points minuscules de paradis dans la fécondité astrale.

Exposition au Cosmonaute (Les Capucins, Brest), à partir du 8 février 2019 – vernissage le 7 février à 18h
