
« Quand j’ai eu mes règles pour la première fois, j’ai fait semblant d’être heureux. »
La première image de Gabriel, de la jeune photographe espagnole Mar Sáez, est une victoire, celle du corps d’un homme en short de bain portant de façon christique une serviette sur les épaules.
Le torse et le ventre sont doucement poilus, il y a des couleurs d’été à la plage, des tatouages sur l’intérieur des avant-bras indiquant deux directions antagonistes : Innocence / Guilty.
La vie éclate, elle est beauté et désir.
Gabriel montre le résultat d’une métamorphose, d’une naissance, celle d’une femme en homme.

Un soleil se lève, ou tombe dans l’océan. De toute façon, c’est une aube, le matin de l’humanité, un espoir.
La nature est là, souveraine, dans son ordre princier. Les humains passent, sachant l’apprécier ou non, peu lui importe.
Elle n’est plus, Lui est là, allongé sur un lit, la poitrine plate, une cicatrice estompée près des tétons dont on devine qu’elle est le résultat d’une opération chirurgicale de transformation.
La masculinité est ambiguë, follement difficile, elle demande parfois d’en passer par la violence du couteau discriminant les chairs.
La vérité prend les chemins d’un sacrifice de libération.
Gabriel relate avec pudeur et douceur une histoire difficile, magnifique, courageuse, indispensable pour qui n’est pas né dans le bon corps.

Six ans de transition ont été nécessaires pour faire advenir physiquement l’homme dans la femme, et lui permettre de s’épanouir.
Remarquée pour Vera y Victoria (André Frère Editions, 2016), livre construit comme un journal de bord, relatant un amour fou, celui d’un couple dont l’un des deux partenaires se révèle être une transsexuelle, Mar Sáez s’intéresse aux relations de genre, aux recompositions identitaires, aux mystères des constructions sexuelles.

Gabriel est ainsi un livre très silencieux, presque méditatif, accompagné de selfies diffusés sur les réseaux sociaux de 2012 à 2018, et d’images d’enfance.
Papa, maman, votre bébé n’est pas forcément celui que vous croyez, mais ne l’aimez pas moins lorsque vous le découvrirez autrement.
La petite fille est un bel homme, tout est parfait, la mer est calme.
Gabriel est un hymne à la tolérance, comme une évidence.
C’est un chant de paix, une comptine pour adultes.
« Arriver à me voir comme un homme a été ma libération. »
Mar Sáez, Gabriel, texte Gabriel, traduction en anglais et français, Jonathan Snyder & Héloïse Lalanne, André Frère Editions / Association Ce qu’il nous reste à voir, 2019, 60 pages, 28 images couleur – 700 exemplaires
