Pierre Bonnard se servait de ses agendas comme carnets de croquis, reprenant inlassablement les mêmes motifs, son épouse Marthe, les détails de son corps, son propre visage, leur chien.
Il est possible aujourd’hui de les admirer dans une belle édition pensée conjointement par L’Atelier contemporain (Strasbourg), le Musée Bonnard (Le Cannet) et la Bibliothèque nationale de France – l’ensemble choisi est homogène, allant de 1927 à 1946, ce qui correspond aux vingt dernières années de la vie du peintre, Marhe mourant le 20 janvier 1942.
Des textes parfaits les accompagnent (Céline Chicha-Castex, Alain Lévêque, Véronique Serrano), nous pouvons confortablement partir au paradis.
Bonnard considérait ses dessins effectués au crayon gris comme un répertoire de formes, points d’appui de peintures qui étaient davantage des recompositions mentales que des décalques du motif observé.
On se souvient de cette formule géniale, renversant peut-être (les spécialistes me répondront) le clivage traditionnel Florence / Venise : « Le dessin, c’est la sensation. La couleur, c’est le raisonnement. »
Le corps de Marthe, c’est cinquante ans de « sensibilité désarmante de naturel », d’ « impudeur un peu farouche », un éblouissement traversant le temps.
La voici le dos penché, yeux baissés, ou flottant dans sa baignoire comme dans un cercueil de renaissance.
Bonnard la prenait aussi en photo, nue, en intérieur ou dans le jardin, elle est merveilleuse.
Un peintre et son modèle ? Non, plutôt deux créateurs associés dans une même geste modeste et folle : ne pas dépendre du temps, en faire de la peinture.
A cet égard, on remarquera l’obsession du peintre de noter dans ses agendas les conditions météorologiques du jour, comme un navigateur.
Comprenons ici que le temps extérieur vaut pour la température intérieure et qu’un flux d’énergie passe de l’un à l’autre à la surface dessinée, puis colorée.
« Il ne s’agit pas, affirme Bonnard, de peintre la vie. Il s’agit de rendre vivante la peinture. »
Il y a dans ses carnets davantage de dessins de paysages (exécutés souvent lors de ses vacances) que dans ses peintures. Ils sont griffonnés, hachurés, des trois fois riens qui enchantent, des perceptions brutes, un continuum vision-main.
C’est en 1927 que la peintre emménagea dans sa maison du Bosquet, sur les hauteurs du Cannet, trouvant dans ce Midi béni des dieux son centre, son laboratoire de recherches.
Il y a une fraîcheur Bonnard, qui est celle des bêtes, des truffes de chiens, de la peau transfigurée.
Il meurt en 1947 après avoir peint un amandier en fleurs.
La fête dure encore.
Pierre Bonnard, Au fil des jours, Agendas 1927-1946, textes de Céline Chicha-Castex, Alain Lévêque, Véronique Serrano, L’Atelier contemporain / Musée Bonnard, Le Cannet / Bibliothèque nationale de France, 2019, 280 pages, environ 400 illustrations
Editions L’Atelier contemporain
Merci pour cette présentation !
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