« Lille, Arras, Douai, Valenciennes, / Que sais-je encore, Saint-Quentin !… »
Suis-je fou ? Peut-être un peu, beaucoup, mais pas tout le temps.
Il m’arrive souvent de ressentir la présence réelle des auteurs que j’aime, pourtant morts depuis longtemps, comme si j’allais pouvoir les rencontrer au coin de la rue, derrière une porte, dans un café, et discuter avec eux.
Je les vois, je les dessine mentalement, je ressens les chairs, j’entends les voix.
Ainsi Paul Verlaine, décédé à cinquante-et-un an en 1896, arrivé par la poste hier, un peu exalté, un peu ivre, sans le sou comme d’habitude, me tendant le texte de sa conférence Les poètes du Nord, prononcée au café le Procope à Paris le 29 mars 1894, égarée depuis.
Cette huitième et dernière conférence surgit des limbes, c’est une découverte, elle m’enchante.
Dans cette allocution, Paul Verlaine, dont la mère était originaire de Fampoux, dans le Pas-de-Calais, fait l’éloge des « nordistes » Marceline Desbordes-Valmore, dont on sait combien elle influença son vers, du critique, poète et romancier Sainte-Beuve, né à Boulogne-sur-Mer, du chansonnier patoisant Alexandre Desrousseaux, auteur de la fameuse berceuse L’canchon-dormoire dit « P’tit Quinquin », et de François Cottignies, chansonnier lillois.
Invité par la Société anacréonique des Rosati, fondée en 1778 à Blangy en Artois (la poésie, l’amour, le vin, la licence, le gai savoir), il y incite les auditeurs à se réapproprier leur patrimoine régional, à ne plus considérer la littérature et bon goût sous le seul angle parisien.
« En novembre 1892, précise son préfacier, Patrice Locmant, Paul Verlaine entreprit une tournée de conférences qui le mena en Hollande, en Belgique, en Lorraine puis en Angleterre, au cours de laquelle il traita tour à tour, à l’occasion de dix-sept rencontres publiques, de poésie contemporaine, des Parnassiens, des Symbolistes et des Décadents, des poètes de l’Ecole romane, de Shakespeare et de Racine, de son recueil de médaillons sur Les Poètes maudits (1884), ou encore de son œuvre poétique en agrémentant son propos de lectures de ses propres poèmes. »
Pour le poète, qui passa plusieurs étés durant son enfance en Artois, et qui se rendit maintes fois à Arras où sa mère s’établit à la mort de son époux, le Nord était le pays du bien, du vif, du cru, face au « Midi toujours cuit ».
« La variété syntaxique, la richesse lexicologique et la musicalité des langues patoisantes, poursuit Patrice Locmant, ne pouvait laisser indifférent Verlaine, dont l’art poétique réclame « de la musique avant toute chose » et n’interdit l’usage d’aucun langage, allant jusqu’à recommander l’emploi d’une langue poétique indifféremment grecque ou latine / Ou vulgaire, ou patoise, argotique s’il faut ! »
Dans sa conférence, Verlaine célèbre le réveil des petits pays, s’émerveillant des particularismes régionaux, des folklores, des parlers spécifiques : « Au-dessous, mais bien peu, de la Patrie, ou plutôt sous la Patrie – comme des cariatides sous un fronton – sont les patries, les provinces, la Province, pour parler vieil et bon français (le département n’est en somme qu’administratif et n’a rien à voir ici). »
Le texte est court, synthétique, surtout inédit, mais il convient d’entendre à sa lecture pour l’étendre un peu les vivats du public.
Garçon, s’il vous plaît, du pain, des harengs, et un bock pour le grand Paul Verlaine !
Paul Verlaine, Les poètes du Nord, édition établie, présentée et annotée par Patrice Locmant, Gallimard, 2019, 96 pages