« Bassin de Sheffield, 1978. Beaucoup de canaux sur cette planète, aucun sur Mars. »
Nouveau démenti de la mission spatiale Viking 4 est un livre de Peter Mitchell sur les villes de Leeds, Sheffield et Londres, dans les années 1970 (RRB Publishing & Clémentine de la Ferronière, 2017), mais aussi, en 1979, une exposition majeure dans le champ de la photographie documentaire anglaise, ouvrant la voie à la photographie couleur à une époque où le noir et blanc prédominait exclusivement dans les galeries.
Très attentif à son environnement immédiat, Peter Mitchell imagine, comme autrefois Montesquieu promenant des Persans à Paris, la venue d’extraterrestres photographiant et commentant de façon humoristique ou décalée les villes de son pays.
« Mme Lee. Sunday Spring 1975. 11 a.m. North Street, Leeds. Dernier jour des soldes, qui ont duré six mois. Et le lendemain, après qu’elle a dû fermer boutique, quelqu’un y a mis le feu. Il est magnifique ce pull-over ! »
Eclate ici la force de l’humour britannique, ne se départant jamais d’une véritable tendresse pour des commerces, architectures et habitants abordés avec toute l’admiration due à l’héroïsme des simples.
Une sonde s’est posée sur la planète Terre – paysage de briques et d’édifices en déshérence -, les petits hommes verts ne vont pas être déçus.
Notre planète est au moins aussi étrange qu’un astéroïde rouge.
Mais, qu’est-ce que cette forme, là-bas, sur fond de colline pelée ? « L’objet triangulaire que l’on distingue au centre à gauche de l’image correspond à du linge ».
Peter Mitchell photographie au format carré des devantures abîmées par le temps, des manufactures fatiguées, et tout l’ordinaire d’une classe ouvrière regardée sans ironie, ni condescendance, bien au contraire.
Les couleurs sont généralement douces, comme posées au pinceau de martre dans le cadre de vision.
L’humour est omniprésent, malgré la froideur première des sujets.
Voici l’Angleterre, semble nous dire chaque image, mais voici aussi bien davantage, une humanité modeste et obstinée dans son être, comme on en trouve partout sur la planète, là où les cultures ataviques n’ont pas été encore totalement avalées par le Moloch du marché mondialisé.
Les tableaux défilent, et Dieu paraît pointer aux abonnés absents.
Monte de ces images désormais vintage un parfum de nostalgie, pour les drôles de Terriens formés par la petite race humaine, pour les formes précaires d’une vie digne, pour l’effort mis dans le chaos de la réalité afin de l’ordonner un peu.
Nouveau démenti de la mission spatiale Viking 4 est un voyage dans le temps, un retour vers le futur improbable de notre enfance, et l’on se sent plein de gratitude pour un photographe ayant réussi à en saisir l’esprit, dans un accord entre l’être humain et son environnement, le ciel et les maisons, le plein des couleurs et le vide probable de nombre de bâtiments.
« Librairie coquine, Sheffield, 1978. J’y suis retourné quand c’était ouvert. Les photos pour mecs dans les librairies érotiques sont clairement passées de mode. De toute façon, j’ai toujours trouvé assez vulgaires les slips qui s’ouvrent à l’entrejambe. »
Les photographies de Peter Mitchell doivent être montrées très régulièrement, en livres, en galeries, en institutions, pour ne pas perdre l’espoir, ni dans la puissance de l’art, ni dans la force des êtres continuant à faire société ou assumer leur solitude, ni dans l’innocence des formes promises à la caducité.
Peter Mitchell, Nouveau démenti de la mission spatiale Viking 4, texte Val Williams, RRB Publishing & Clémentine de la Ferronière, 2017
Le blog de Fabien Ribery 