
Choisis parmi douze photographes proposés par Stefano Stoll, conseiller artistique, Nuno Andrade et Dominique Teufen sont les nouveaux lauréats du prix HSBC.
Ginjal, de Nuno Andrade, né à Lisbonne en 1974, est une série superbe consacrée au «Floresta do Ginjal », restaurant, dancing et haut lieu de rencontres situé sur les rives nord et sud du Tage.
A la façon d’Anders Petersen, mais en couleur, la photographie est ici immersive, Nuno Andrade s’approchant au plus près de ses sujets, faisant participer le spectateur à une danse ininterrompue.


On n’est pas à Hambourg au Café Lehmitz, mais au pays de la saudade, où les larmes ne sont jamais loin du rire.
Les corps ne sont pas jeunes, c’est la fin d’un monde, une dernière parade avant de tirer sa révérence, une remise de peine, une grâce.
Un homme nous accueille, septuagénaire peut-être, lunettes de soleil noires, pantalon noir, chemise à bandes verticales rouges, orange, et blanches, bras levé, dos légèrement creusé, c’est une invitation à entrer dans le danse, un génie tutélaire d’un lieu que l’on ne quittera pas comme cela.

Les peaux sont chaudes, il y a de la sueur, des regards vieillis, fatigués, et pourtant terriblement jeunes.
Perfecto, ongles peints en rouge.
Bijoux à tous les étages, montres viriles.
Sacs à main, collants, chaussures à talons.
Cigarettes, œillades, drague, tendresse, mélancolie.
C’est l’amour une dernière fois, l’amour toujours, le temps d’un pas de deux.
Le monde peut s’écrouler, Lisbonne peut de nouveau trembler, on est ensemble, dans un baiser, dans un slow.
On se touche, on s’étreint, alors que l’orchestre crée les conditions d’un envoûtement collectif.
Aucune leçon à donner à personne, mais une volonté de vivre encore à fond, de se respirer, de se donner la main.

De l’alcool, des bouteilles de l’eau, des chaises en plastique rassemblées en rectangle autour de la piste, des murs qui en ont vu de toutes les couleurs.
On n’en a pas encore tout à fait l’âge, mais on aimerait y être quand déjà tant sont morts autour de nous.
Amis qui n’êtes plus, il est temps de ressusciter, je vous emmène au Portugal.
« Cette série, écrit Stefano Stoll, traite du vieillissement comme d’une dernière opportunité de mise en scène festive et poétique de son corps et de son vécu ; elle est une ode à l’éternel printemps destinée à celles et ceux qui ne se laissent pas enfermer dans leur passé, qui n’ont pas de remords. Mais à y regarder de plus près, on se prend à imaginer que la délicatesse avec laquelle le photographe procède a valeur d’hommage respectueux et reconnaissant aux générations qui l’ont précédé, celles de ses parents et grands-parents, celles qui ont renversé une dictature en brandissant des œillets. »

Autre danse avec la Suisse Dominique Teufen, née en 1975, qui utilise sa photocopieuse pour construire des trompe-l’œil, s’amuser de notre propension naturelle à croire spontanément en la réalité de ce que nous voyons, sculpter, dans une vaste palette de noirs, de blancs et de gris, des voluptés de papier.
Son modèle est celui des primitifs de la photographie de montagne, ses objets froissés photocopiés créant l’illusion d’explorer des sommets lointains.
Son livre s’intitule My travels trought the world on my copy machine.


Des étoiles, des plis et des replis, des dénivelés, des mers de glace.
Tout est vrai, tout est faux, le positif est un négatif qui devient un positif.
De la mousseline naît un rivage, de l’aluminium un lac d’altitude.
Les ordres de grandeur sont renversés, quand le scan devient une baguette magique invitant à de très beaux voyages.

Dominique Teufen invente des images mentales, métamorphose les archétypes, il faudrait la présenter à André Breton, à Bernard Plossu et Aurore Bagarry.
Le jury du prix HSBC, faisant le grand écart, entre les chairs de Nuno Andrade et les spectres grandioses de Dominique Teufen, célèbre en la photographie un médium proche de la sculpture.

Deux artistes prolongeant à leur façon le courant romantique à travers les siècles.
Nuno Andrade, Ginjal, texte de Stefano Stoll, Editions Xavier Barral, 2019, 108 pages – 50 photographies couleur
Dominique Teufen, My travels trought the world on my copy machine, texte de Stefano Stoll, Editions Xavier Barral, 2019, 108 pages – 48 photographies couleur
Expositions :
Galerie Clémentine de la Féronnière (Paris), du 11 avril au 18 mai 2019
Galerie Voie Off (Arles), du 1er juillet au 31 août 2019
Arrêt sur l’image Galerie (Bordeaux), du 12 septembre au 25 octobre 2019
L’Arsenal (Metz), du 15 novembre au 31 décembre 2019
Les photos de Nuno Andrade m’ont beaucoup émue, moins celles de Dominique Teufen , mais peut-être est-ce la confrontation entre les deux qui ne sert pas le second tellement les premières me paraissent fortes. Merci pour ce partage !
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