Une Venise intérieure et nocturne, par William Guidarini, photographe

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© William Guidarini

 

Avec Venise et ses îles, le photographe William Guidarini signe chez Arnaud Bizalion un anti-guide touristique.

Son livre, conçu avec l’amitié et l’expertise de Laura Serani, est une œuvre au noir, un voyage intérieur, une musique nocturne, un enchevêtrement d’espaces intimes et de territoires mouvants.

Pratiquant le voyage comme un désabritement, William Guidarini trouve en Venise un lieu où questionner de façon fondamentale les lignes de sa vie, sculptant essentiellement à l’argentique l’espace et le temps.

Attiré par l’élément liquide, entre moire et mémoire flottante, le photographe vivant à Marseille interroge par l’art la difficulté d’être et la quête de soi.

Depuis son premier livre, Ceux qui restent (Arnaud Bizalion Editeur, 2015), l’artiste semble se détacher peu à peu de la géographie pour aborder les contours de son monde intérieur, rendant compte d’une solitude dont Venise constitue pour lui probablement une métaphore majeure, dans l’indistinction qu’elle offre très souvent entre réel et imaginaire.

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© William Guidarini

Avez-eu des cicerones à Venise ou préfériez-vous être totalement seul ? Comment voyagez-vous ?

La solitude fait partie de ma démarche. Pour rompre avec d’anciennes formes. Pour (re)commencer.

Pratiquer l’espace. Avec la marche comme expérience première.

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© William Guidarini

Nietzsche pensait que Venise était ville de haute solitude et de musique intérieure. N’est-ce pas aussi votre sensation ?

Tout à fait, c’est une ville, un territoire qui s’accorde parfaitement aux oscillation de l’âme, qui aide à « rentrer en soi-même et sonder les profondeur d’où jaillit la vie », pour citer Rainer Maria Rilke.

C’est aussi pour moi une ville de la nuit, du silence, où les absents et les disparus se mêlent aux contemporains. Chaque foulée nocturne dit ainsi l’éveil de l’être à sa loi originelle, et permet de laisser des réminiscences remonter à la surface.

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© William Guidarini

Venise n’est-elle pas quelquefois pour vous un pur décor, comme un plateau de cinéma à ciel ouvert, voire une nature morte ?

Plus un contexte qu’un décor dirais-je. Il arrive parfois qu’un lieu ait une emprise sur soi. C’est le cas de Venise, avec qui j’ai une relation très forte.

Toutefois, ce n’est pas une destination, mais une nouvelle manière d’aborder les choses, de s’aborder soi-même. J’ai écrit durant six ans un carnet d’un voyage intérieur.

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© William Guidarini

Signez-vous un anti-guide touristique ?

Oui, on peut dire ça. D’ailleurs, le titre Venise et ses îles est inspiré des vieux guides touristiques de la ville.

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© William Guidarini

Cherchez-vous, en multipliant les lieux (Venise comme basse continue, mais aussi Bruxelles, les îles du Frioul, Roquevaire, Milan, Saint-Martin-Vésubie, San Remo, Sardaigne, Lyon, Marseille, Arras), à vous orienter dans les chemins de votre vie, ou à provoquer une forme d’égarement proche du rêve éveillé ? Ne s’agit-il pas également de créer un espace imaginaire et hybride ?

Partir à Venise, c’est quitter mon quotidien, cette réalité tangible où je peux facilement me mettre à l’abri et me réfugier.

Partir, c’est me détacher, et m’habiter d’une nouvelle clarté, pour vivre pleinement les questions. Et archiver le temps.

Mais je pars à Venise plein de tout ce qui fait ma vie intime. En « collant » ces images personnelles, ce sont mes élans, mes doutes, mes obsessions que je projette sur ce réel. En fragments.

Se créée ainsi un espace-temps imaginaire.

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© William Guidarini

Venise et ses îles n’est-il pas une méditation sur le temps, le passage, et l’engloutissement, dans le noir, sous les eaux ?

C’est pour moi tout d’abord une réflexion sur la difficulté d’être au monde et à soi, sur la quête.

C’est aussi un questionnement sur le temps, qui sculpte les êtres et les choses, et l’oubli, qui sculpte la mémoire.

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© William Guidarini

N’êtes-vous pas particulièrement intéressé dans votre travail général par le phénomène insulaire ?

Plus que l’insularité, c’est l’eau qui m’attire. Je suis né à Marseille, je vis au pied du massif des Calanques, je me baigne quasiment toute l’année.

L’eau a sur moi un effet puissant. Elle assure la distance.

J’ai effectivement toujours travaillé au bord de l’eau : Procida dans le golfe de Naples tout d’abord, et pour mon projet Ceux qui Restent, toutes les villes d’Europe de l’Ouest que j’ai parcouru en cinq ans (2009/2103) sont toutes au bord de l’eau !

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© William Guidarini

Pouvez-vous décrire l’image la plus importante de votre livre, constituant en quelque sorte son axe et sa tonalité ?

Je ne peux extraire une image en particulier. C’est un corpus dual d’images, Venise / hors Venise, qui donne la tonalité du travail et la force au propos. Les premières nous emmènent à Venise, les secondes vers l’intime, et l’ensemble créée un univers hybride, labyrinthique.

Que devez-vous à Arnaud Bizalion et Laura Serani, qui signe un texte dans votre livre, pour la réalisation de votre projet ?

Laura Serani est une personne qui m’accompagne depuis près de dix ans, qui me connaît comme être et comme photographe. Elle sait me guider, absorber mes doutes, m’encourager, me recadrer. J’apprécie sa bienveillance, sa grande expertise de la photographie et de l’édition, et je partage avec elle une grande exigence. Pour moi qui doute beaucoup et qui n’ai que très peu confiance en moi, Laura constitue un vrai pilier dans ma démarche d’auteur. Il m’importe de mener un travail cohérent et rigoureux, et en cela la présence de Laura à mes côtés est essentielle.

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© William Guidarini

Je dois aussi beaucoup à Arnaud Bizalion, qui m’accompagne également depuis le début. Nous avons une relation étroite, il a lui aussi la faculté à éponger mes craintes, à m’orienter. Avec une grande empathie. C’est aussi une personne très ouverte, prête à bousculer ses habitudes de travail, avec qui je peux travailler sur la durée, avec une grande exigence à toutes les étapes du projet éditorial.

Pourquoi avoir proposé à l’anthropologue Marc Augé d’écrire sur votre travail ? Comment le comprenez-vous ? Je lui emprunte l’expression « une Venise intérieure et nocturne » pour titrer notre entretien.

J’ai lu Une ethnologie de soi il y a quelques années et ses mots avait énormément résonné dans mon travail. Avec Non lieux et surtout Les formes de l’oubli, Il apporte des réponses par les mots à des questions qui sont les miennes. Sachant qu’il était sensible à la photographie (il avait déjà collaboré à des projets photographiques), je l’ai rencontré à l’occasion d’une conférence qu’il donnait à Marseille. Je lui ai exprimé ma grande admiration pour son travail, lui ai présenté mon projet à Venise et lui ai proposé d’écrire un texte d’accompagnement. A ma grande surprise, il a été séduit par mes images, et m’a donné son accord.

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© William Guidarini

Quels liens entre Ceux qui restent (Arnaud Bizalion Editeur, 2015) et Venise et ses îles ?

Le propos est le même : les difficultés de l’être, la quête de soi.

Ceux qui restent, c’est un travail plus « extérieur », d’une brutalité plus marquée. C’est un questionnement sur la ville comme métaphore des inquiétudes du monde, le portrait d’une solitude moderne.

Avec Venise et ses îles je délimite un territoire plus précis ou poursuivre ma quête, aller en profondeur. Le propos y est plus feutré, tourné vers l’intérieur, pas sur Venise.

Dans la démarche par contre il y a un vrai tournant : avec Ceux qui restent, tel un loup qui sort de sa tanière, je pars pour un voyage solitaire me confronter à une réalité. Il y a de la fuite. Une forme d’urgence. Avec Venise et ses îles, Il y a une mise à nu. C’est s’autoriser à être soi, s’appartenir, se rejoindre. C’est légitimer sa présence au monde et aux autres. C’est une (re)naissance.

Vous allez dans les mois qui viennent diriger des workshops à Marseille et Venise. Quelles sont les lignes de force de votre enseignement ?

La ligne force, c’est la sensibilité ! J’accompagne depuis dix ans des pratiquants qui souhaitent développer leur écriture photographique. Des êtres ouverts au regard extérieur, que je guide pour approcher le réel à partir de soi. C’est notamment le cas pour le module à Venise, qui se déroule en argentique, pour favoriser une approche sensible du réel.

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© William Guidarini

Je mène mes Masterclass en rythme, avec exigence et bienveillance. M’attachant autant à la dynamique de groupe qu’à la sensibilité de chacun des stagiaires. Enfin, je précise que la formation à la photographie est mon vrai métier, je vis de cela toute l’année.

Votre projet sur l’île de Procida est-il clos ou aimeriez-vous le faire publier ?

Le projet a été mené entre 2006 et 2009. Un carnet a été publié aux éditions ©àmarseille, avec un texte de Philippe Carrese, récemment disparu.

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© William Guidarini

Quels sont vos objets de recherche actuels ?

Il y a dans Venise et ses îles les germes de l’évolution de mon travail : d’un territoire géographique à un territoire de l’intime. Mes prochaines images ne seront plus attachées à un territoire en particulier. Je tends à créer mon propre univers, mêlant des images d’archives avec des photographies contemporaines.

Propos recueillis par Fabien Ribery

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William Guidarini, Venise et ses îles, textes de Marc Augé et Laura Serani, traduction Kate Moses, direction artistique Laura Serani, graphisme Werner Jeker, Editions Arnaud Bizalion, 2019 – 700 exemplaires ; tarif 25 € en édition courante, 58 € avec son enveloppe cuir

Site de William Guidarini

Masterclass à Venise

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Un commentaire Ajoutez le vôtre

  1. roger salloch dit :

    beau : voulais te dire, le gout de la philosophie eset devenue monpetit cadeau prefere

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