
Suite d’une première série autobiographique intitulée Sinon la mort te gagnait (Editions Le Point du Jour, 2008), L’oiseau noir perché à droite dans ma tête, du franco-new yorkais Jean-Christian Bourcart, indique d’emblée sa force de folie, ses hantises, sa rage de vie et ses turbulences.
Ce pourrait être le journal (textes/images) d’un capitaine d’industrie ou d’un vagabond – appelons-le Kurtz – ayant rompu les amarres avec la respectabilité, la raison raisonnante, les assis.
Nous sommes avec Jean-Christian Bourcart en Occident, et un peu partout sur la planète Terre, dans la stupeur d’être encore là, debout, titubant dans le désir, œil grand ouvert sur ce qui est, dans la poussière, le drame et la beauté sacrée de toutes choses.
Une femme est nue sur un lit, mamelons nourriciers offerts aux lecteurs, pour la joie, pour la preuve, pour rien, en une sculpture de chair quasi abstraite.

« C’est le soir de la pleine lune. On est au lit avec Lara, à l’Hôtel de Sèze, à Biarritz. On n’arrête pas de faire l’amour et de fumer des joints sur l’escalier de secours en métal, comme à New York. On fait plein de photos aussi. Je viens de lui lire des passages de ce livre. Elle trouve ça triste. Elle lit pendant que j’écris. Elle rigole quand elle lit que j’écris qu’elle est en train de lire. Ça fait une mise en abyme ce genre de phrase, elle dit : « Tu vas me citer ? » Elle demande ce qu’elle est pour moi. Je lui dis qu’elle compte. « Jusqu’à combien ?, demande-t-elle ». Je lui dis que c’est elle qui compte, qu’elle me le dise. »
Il y a beaucoup d’amour dans L’oiseau noir perché à droite dans ma tête, beaucoup de trouble, beaucoup de solitude, beaucoup d’effroi.

Rêve et réalité s’interpénètrent dans un continuum de fantasmes, d’images mentales, que le montage cut des images exacerbe.
Des anguilles et le beau visage d’une petite fille aux yeux clos.
De la peinture bleue sur le macadam et le portrait d’un vieil aède qu’on pourrait appeler Homère.

Sensation de monde premier, d’art rupestre et d’immémorial dans le tout-venant des jours.
La démarche est introspective, presque jungienne dans la captation des archétypes et des symboles.
Le chaos est la dernière étape du carnavalesque, dont l’énergie est une lumière crue s’arrachant à la mort.

Insomnies, détresses de la nuit, cruauté du désir : « Je dois avoir trois ou quatre ans. Je prends des bains tout nu avec ma nounou qui partira avec mon père, me laissant avec ma mère qui est en dépression depuis bien avant ma naissance. »
Aveux, mensonges, liberté, démence : « Maintenant j’aime Marina, une femme intelligente et belle, qui est une artiste accomplie avec plein de talents que je vampirise. On est très ouverts d’esprit. On s’autorise des relations extraconjugales et c’est fantastique d’avoir le couple et d’autres amours en même temps. J’ai un fils trop cool, marrant, tendre, qui fait de la batterie, qui construit plein de trucs et qui a des super notes à son école de surdoués. Une fois moi aussi je lui ai donné une fessée déculottée devant ses copains pour son anniversaire, pour rire, mais il semble que ça l’ait traumatisé. Il dit aussi que je lui ai pissé dessus dans son bain, moi je me souviens que c’était à côté. »
Faut-il souligner ici le côté bukowskien de Jean-Christian Boucart, pratiquant l’écriture et la photographie comme on fait de la magie noire ou entre dans une tente de sudation ?

On peut penser aussi à Burroughs pour les visions, les drogues, les délires très organisés, les fulgurances.
Les monstres sont de sortie, à New York ou Tananarive.
Que partage-t-on entre vivants ? Quels fluides ? Quels espoirs ? Quelles hontes ?
« Un calcul rapide : mon appareil photo représente quatorze ans du salaire minimum malgache. »

Voici le peuple des bidonvilles, voici des tas de pierres, voici des visages tendus, inquiets, ravagés.
Voici un trou noir, un sexe de femme ouvert, une cellule souche.
Christ, Marx ou Freud, à vous de choisir, ou pas.
L’œil saigne, c’est un ours abattu froidement sur une route de campagne.
C’est une béance dans les dédales du cervelet.

C’est le chant d’un chaman provoquant des nausées.
La chronologie est bouleversée, les instants de crises sont brassés, la cire d’une bougie a coulé , l’orteil d’une statue de marbre a sauté.
Jean-Christian Bourcart organise ses frissons, voyage, observe les traces d’un typhon, cherche un chemin de conciliation entre des réalités incompossibles.
Nous laissons des empreintes, mais « le monde n’est pas fait pour nous ».

10 octobre 2016 : « Elio et Lena viennent de se lever. Marina est à Venise. J’ai médité, fait des pompes, mangé des tartines et signé un contrat avec le musée de la photographie de Chalon-sur-Saône, qui stipule que je vais y déposer l’ensemble de mes archives photographiques. J’aime l’idée que mes commandes stupides pour VSD dans les années 1990 (les nuits folles du Cap d’Agde, Antoine de Caunes à Londres…) finissent dans les archives nationales, à côté de la première photo prise au monde. »
Une vieille femme est à l’agonie, le masque de la mort l’étouffe, un poisson est éviscéré, des jeunes dansent.
Nulle hiérarchie ici entre le bas et la haut, le trivial et le sacré, le noble et l’ignoble, mais une pulsation de vie coûte que coûte, dans le mystère de ce qui persiste dans son être.
Blocages, pleurs, partages, gestes de fraternité.
L’énergie coule, déborde, explose : les serpentins d’un tuyau d’arrosage, une Black plantureuse au seuil de son logis, une superbe Asiatique en gants de velours jouant à s’étrangler.
L’oiseau noir perché à droite dans ma tête n’est pas un livre, c’est un objet cérémoniel, un ego trip, une méditation faisant venir des anges, et surtout des démons.
Jean-Christian Bourcart, L’oiseau noir perché à droite dans ma tête, éditions Le Bec en l’air, 2019, 224 pages
Jean-Christian Bourcart – site