
C’est un principe en aïkido : lorsque se présente une situation duale, duelle, il convient de rechercher l’unité, l’annulation du conflit par le renversement du regard et l’entrée dans un régime supérieur d’activité dépassant la logique causale ordinaire.
L’ascèse y prépare, et c’est un grand étonnement de constater que la division plie naturellement sous la douce puissance de l’unité.
Je ne sais pas si l’Américain Seth Lower pratique les arts martiaux, mais son bel ouvrage, Units, témoigne d’une pensée de la concordance et de la totalité révélant une grande sagesse.

De moyen format, l’ouvrage que publient les éditions MACK se présente comme un vaste jeu de stratégie dont chaque case est une énigme.
Aucun texte pour en expliciter les règles.
Peu d’humains, mais de la présence en couleur, des glyphes, des traces, des signes.
La diversité de l’existant et des situations.
La société de consommation et la nature.
De l’incommunicabilité peut-être, de la drôlerie, de l’absurde.

La photographie de Seth Lower n’est pas une force de discrimination, mais une volonté d’embrasser en un regard ininterrompu l’ensemble de la création telle qu’elle se déploie essentiellement dans un petit bout du monde appelé Californie.
L’œil s’arrête sur un panneau comportant des lettres isolées, sur des oranges roulant dans la rue, sur un caddy de terrain vague.
Des murs et des oiseaux.
Des boites aux lettres et des fenêtres.
Les éléments concrets de la réalité et des surfaces abstraites.

La touche juste, à l’américaine dirait Jack Kerouac, maître en composition, moine bouddhiste très catholique égaré dans sa vie, et cherchant lui aussi, à la façon des mystiques, à ressentir en toutes choses la chaleur de Dieu.
Tout commence par une perte – un frère, un parent, une aimée -, tout commence par une naissance, c’est-à-dire une coupure.
Tout va périr, tout périt, tout est déchet, mais tout aussi est sacré, merveille, miracle.
Holy, holy, holy, chantent Allen Ginsberg et Patti Smith.
Au commencement était le verbe, qui produisit de la lumière, de l’eau, des arbres, des corps et des appareils photos.

Units est une errance sans peur, une sorte de déambulation calme dans le spectacle du vivant.
Beauté d’une main sur un pied dans une séance de réflexologie plantaire, beauté de rouleaux de gazon alignés comme des paillassons, beauté des formes – d’un pneu, d’une ampoule, d’une chaussette.
Humour d’une balle de tennis près du bol de croquettes pour animaux.
Dans la rue, au Japon, marchent trois business men, tandis qu’à San Francisco quelqu’un nettoie une gazinière.
Aucune contradiction.
Lautréamont avait raison : le monde moderne consiste désormais en la rencontre, fortuite et infinie, sur une table de dissection, d’un parapluie et d’une machine à coudre, ou d’une batte de base ball et d’un écran d’ordinateur.
Seth Lower, Units, design by Morgan Crowcroft-Brown, MACK, 2019