
Artiste né en Suisse en 1981 et vivant à Berlin, Lukas Hoffmann est un photographe que passionnent les notions de territoire, de frontière, d’ensauvagement et de métamorphose.
Son ouvrage Untitled Overgrowth, publié par Spector Books à Leipzig, est une ballade photographique âpre et belle sur les rivages du monde habitable, à l’instant où la nature semble se réapproprier des lieux marqués par des structures de délimitation : grilles, grillages, murs, barrières de sécurité, palissades de fortune, filets de protection.
L’humain s’est absenté, mais a partout laissé des traces de sa présence.

Des pneus écrasant la boue, des lignes sur le macadam, des systèmes d’évacuation et de contention.
La logistique est la grande affaire des vivants qui parlent, constituant pourtant, dans le miracle des agencements quotidiens, un impensé majeur.
Tout est construit, bâti, réfléchi, mais paradoxalement l’essentiel échappe, qui est la concordance des flux de vie, le génie de ce qui naturellement se dispose parfaitement dans l’espace.

Lukas Hoffmann photographie des moments de bascule, des équilibres fragiles, des surfaces violentées et des puissances blessées.
Son regard topographique s’exerce essentiellement en noir et blanc, comme on dessine au crayon gris ce que le motif nous dicte.
Les ombres indiquent des volumes, et tout est ici doublé de présences spectrales, malgré l’acier, le béton et les briques.

Il y a chez Lukas Hoffmann une dialectique du fluide et de l’immobile, du liquide et de l’intangible.
Les végétaux ont leur loi propre, ne s’embarrassant par des perspectives des propriétaires.
« La propriété, c’est le vol », semblent-ils clamer, en lançant branches, surgeons et feuillages à l’assaut des prétentions du limes.

Untitled Overgrowth est le sacre des mauvaises herbes et des lentilles d’eau, des murs craquelés et des pousses intrépides.
Le travail de Lukas Hoffmann, qui utilise la chambre photographique argentique, est une méditation sur le temps et le silence fondamental, sur la défiguration menant à l’abstraction, opérant l’enregistrement d’un délabrement en découvrant la merveille d’une création dans la destruction.
La monochromie guette chaque image, parce qu’il importe d’interroger davantage la possibilité même de l’apparition que l’apparaissant ou l’apparaissable.

Lukas Hoffmann produit moins des documents que des suspensions de sens propices à la révélation graphique des coordonnées de nos existences.
La question du temps et de la transformation de la force en fragilité constituent ainsi l’essence même de sa poétique photographique.
Lukas Hoffmann, Untitled Overgrowth, texte de Maren Lübbke-Tidow et de Matthias Haldermann, maquette Benedikt Reichenbach, Spector Books, 2019, 98 pages

Exposition à la galerie Bertrand Grimont (Paris) – du 2 novembre au 31 décembre 2019
Exposition Le propre du visible est d’être superficie d’une profondeur inépuisable, avec Liliana Gassiot, Lukas Hoffmann, Silvi Simon, Florian Tiedje – du 5 novembre au 21 décembre 2019 – vernissage le 21 novembre à 20h30, à La Filature (Mulhouse)

Exposition prévue au Point du Jour (Cherbourg), du 25 avril au 6 septembre 2020