
On se demande ce qu’elles ont bien pu faire pour se retrouver là, en prison, elles qui sont des reines, des vedettes d’opéra, des starlettes de music-hall, des super women.
On se le demande, et l’on s’en fiche, tant comptent uniquement leur humanité et leur désir d’être femme, elle-même et autre sous le costume et le grimage.
La mise en scène est une liberté, elles en jouent, se glissent dans la peau de leur personnage, se laissent dériver dans un autre espace-temps.

Misses Jones est un ensemble de trois séries photographiques effectuées par Malika Mihoubi et Loïc Xavier avec des femmes incarcérées, mais c’est aussi un livre publié par André Frère, où éclate la présence baroque de femmes se réappropriant leur vie par le biais de la théâtralisation de leur apparence.
L’identité est une chose mystérieuse, qui peut se révéler d’autant plus présente que l’on se plaît à jouer avec sa propre image.
Dans la distance d’avec soi peut apparaître l’une des facettes inaperçues de nous-même, voire notre véritable nature.

La prison annihile le corps propre, c’est une violence de dépersonnalisation imposée par les lois de la société.
La prison conduit au manque, notamment de sexe, que transforme, le temps d’une relation fondée sur le jeu, l’acceptation des possibilités d’ouverture à soi et à l’autre du théâtre.
« Superbement vêtue, écrit Laurence Loutre-Barbier, les femmes sont sacrées, et pieds nus, elles s’engagent tête haute dans une forme de renaissance, en quête d’une identité désinhibée et respectable. »

Des femmes ayant commis des délits, violentes ou/et que la vie a violentée, reprennent le pouvoir sur elles-mêmes, se réinventent, occupent le temps de quelques séances de travail le centre des regards.
Elles invitent au dialogue, à la compréhension, à l’oubli des fautes, à la joie de l’avenir.
Regarde-moi, toi qui me ronges de l’intérieur et me déprécies, comme je suis belle, désirable, sauvage et souveraine.

Des rivières de colliers.
Un frac de soirée.
Une robe en tulle.
Des ailes d’ange – sur une peau de lumière noire.
Un costume de cow-boy.

Un plumage chic.
Un diadème.
Une robe à dos nu.
Une étole de fourrure.
Des transparences.

Un collant orange.
Un bustier pigeonnant.
Un chapeau de grande dame.
Un fume-cigarette.
Un kimono.

Une redingote.
Un voile.
Un sautoir.
Une tenue de flamenco.
Des brocarts, des dentelles, des soies.

La prison est loin, les 9 mètres carrés sont loin, la promiscuité est loin.
Maintenant, c’est le royaume des belles alanguies et des suzeraines délicates, des courtisanes stylées et des stars inaccessibles.
Leur nom de code : Misses Jones.
Malika Mihoubi & Loïc Xavier, Misses Jones, Portraits de femmes en prison, texte Laurence Loutre-Barbier et Claudia Stavisky, André Frère Editions, 2019, 80 pages – 36 photographies