
Ce pourrait être une peinture inédite de Hans Hartung, Antoni Tàpies, ou Gerhard Richter, mais il s’agit de paysages photographiés depuis un hélicoptère par Jérémie Lenoir.
Trente vues sidérantes de notre Terre-Mère, la Pachamama, réduite à des formes géométriques, abstraites, ordonnées selon une logique échappant d’abord à la pensée raisonnée, à Las Vegas, Guitrancourt, Anvers, Salt Lake, Waregem, Montréal, Achères, Stains, Gennevilliers.

Ce sont des sables, des marges, des lisières entre ville et campagne.
Ce sont les preuves d’un désert croissant, pour reprendre une célèbre formule hölderlinienne plusieurs fois commentée par Martin Heidegger, mais aussi celles d’une profusion inouïe de forces témoignant du génie de la vie inventant sa loi de présence jusque dans la mort.
Cet ensemble, notamment inspiré de Zéropolis du philosophe Bruce Bégout, est une réflexion en images sur la puissance de reconfiguration de la nature par la démesure d’une logistique dévorant les espaces.

Jérémie Lenoir travaille au cœur de l’esthétique de la disparition, découvrant des ordres transcendants là où l’œil s’égare d’abord.
Vue du ciel, la terre malmenée joue au calligraphe, créant des lignes harmoniques, presque spirituelles, dans la violence des chantiers.
Vu du ciel, le gigantisme des exploits capitalistes paraît un jeu de constructions pour enfant.

Le vide n’est pas le contraire du plein, mais sa possibilité de manifestation.
Le sol est remué, brassé, recomposé, dans le jeu s’élaborant entre les échelles de grandeur.
Les photographies de Jérémie Lenoir sont des parois grattées, griffées, hachurées.
Que voit-on ?

Des pluies de ciment.
Des microprocesseurs.
Des coulures de peinture.
Des taches.
Des surfaces passées au blanc.
Un camion miniature tel un jouet d’acier.
Des traces de patins à glace.
Du plâtre.

Mais ce que nous devinons reste une énigme de plis, de routes et de déroutes, telle une toile froissée de Simon Hantaï.
Nous sommes au cœur d’un écheveau de poussières, d’une géométrie follement minutieuse, de barricades du néant.
Nous sommes dans du langage fondamental.
Jérémie Lenoir, Distensions, texte de Pierre Wat, traduction (anglais) de Laurie Hurwitz, Galerie Guillaume, 2019
