
Si Daido Moriyama avait une fille, ce serait certainement l’Australienne Meg Hewitt, auteure d’un Tokyo is yours, aussi dingue et terrible qu’un chat écartelé.
On est ici du côté de Provoke et de la culture underground, du sublime jusque dans le sale, le bas, le trivial d’un escalator menant probablement au jardin des délices en ses douces cruautés.
Il y a des amoureux étendus près d’une rivière, la nuit est une fourrure, le saké emporte les images dans le monde flottant.

Dans le parc municipal, les hérons cendrés, drôles et affamés, sont des gravures de Dürer ayant traversé les siècles.
La tête se renverse, la bouche est ouverte, les fleurs alentours frémissent : c’est une extase.
Meg Hewitt ne cherche pas la reproduction servile de la réalité, mais à saisir en chaque objet, chaque visage, chaque situation, une possibilité de jouissance, de trou, d’échappée.

Vues par elle, les nuits de Tokyo valent bien les fêtes felliniennes de Cabiria, mais en plus trash, plus folles, plus insensées encore.
Godzilla n’est pas loin, qui pourrait très vite mettre un terme à vos rêves de volupté.
Alors, avant que le monstre dégueulasse ne nous emporte, vivons l’instant comme s’il s’agissait du dernier, et du plus beau jour de notre existence.

Nous mourrons contre la mosaïque d’un bain de quartier, seuls dans la lumière universelle d’un néon branlant.
Les photographies de Meg Hewitt provoquent des décharges électriques, ne les regardez pas en prenant votre bain.
Des bas résilles, des rues à peine éclairées, des affichettes pour des amours tarifées.

Un hibou de sagesse, un humanimal.
Le sextoy d’une Tour Eiffel posée sur une horloge sans aiguille.
Un collier de perles sur une peau légèrement ridée et bronzée.
Un lit comme de grandes orgues.

Les tuyaux d’aération d’un restaurant, le cou d’une girafe, des passants.
Une écolière quarantenaire ayant pris des coups.
Des mages noirs, des fleurs en plastique, un baiser adolescent dans la nuit.

Une robe de mariée, un bar minuscule, un jeune homme androgyne portant beau le costume.
Voilà le Japon tel que le perçoit Meg Hewitt, entre étrangetés et chemins de mystères, certitudes vernaculaires et effroi, dans un pur présent chargé de tous les temps.

Meg Hewitt, Tokyo is yours, Narayana Press (Danemark), 2017 – huit cents exemplaires numérotés et signés
