
Il ne faut manquer aucun des numéros de la revue Les Moments littéraires, concoctée par Gilbert Moreau, il y a toujours une merveille, une pépite, un trésor.
Dans le numéro 43 intitulé Amiel & Co, consacré aux diaristes suisses, il y a quelques photographies sublimes, d’un auteur que je ne connaissais pas, René Groebli.
Il s’agit d’images tirées d’un livre publié en 1954, Das Auge der Liebe, prise par le photographe suisse au cours de son voyage de noces avec Rita, son épouse.
On peut penser au journal de Nobuyoshi Araki, A sentimental journey (1971), qui documente, entre réalité et fiction son mariage et son voyage de noces.
Né en 1927 à Zurich, René Groebli fut un photojournaliste remarqué, publié notamment dans Life Magazine et Picture Post, considéré également comme un pionnier de la représentation du mouvement par le flou.

En 1955, il est exposé au Museum of Modern Art de New York aux côtés de Robert Frank et Werner Bischof – titre de cet événement : Magie und Melancholie -, le Kunsthaus de Zurich montrant en 1999 une sélection représentative de ses œuvres (1946-1996).
En voyant les photographies intimes de René Groebli, qui est un maître du nu, je l’imagine dialoguer avec le Saul Leiter du livre In my room (Steidl), florilège d’images montrant ses amies, ses amantes, dans son studio de travail, son appartement, dans une atmosphère de respect et de liberté bouleversantes.
Das Auge der Liebe, ce regard amoureux, ce sont des portraits d’une femme au visage assez dur, un peu garçonne, mais dont le corps, dès qu’elle se déshabille, est d’une terrible sensualité.
Ses épaules, son dos, sa nuque, son collier de perles, une certaine sophistication, puis le moment de l’amour physique, de la confiance, de la chemise de nuit légère pendant sur un cintre, des bras levés d’une jeune mariée, seins nus superbes, accrochant à contrejour ses culottes sur un fil à linge, probablement dans une chambre d’hôtel.

Le lit est simple, le corps de l’aimée gracile, presque enfantin, alors que s’y révèle également toute la puissance érotique d’une femme.
Faveur que de participer un peu à ce voyage sentimental, dont les images sont indubitablement des preuves d’amour, de complicité, de jeu sérieux n’éludant pas les extases possibles.
Parmi les contributions, généralement inédites, de plus d’une vingtaine de diaristes suisses, placés sous la tutelle symbolique de l’écrivain et philosophe Henri-Frédéric Amiel (1821-1881), dont le journal intime monumental comporte près de 17000 pages, la grâce des photographies de René Groebli emporte l’imagination en des contrées voluptueuses, et surtout de paix.

On peut lire ici dans le journal du génial Ramuz : « Être romantique c’est chercher la beauté dans l’exception. »
Je crois qu’en découvrant les quelques images reproduites ici de Das auge der Liebe, vous serez de son avis.
Revue Les Moments littéraires, Amiel & Co, Diaristes suisses, introduction de Jean-François Duval, contributions de Henri-Frédéric Amiel, Anne Brécart, Corinne Desarzens, Jean-François Duval, Alexandre Friedrich, René Groebli, Roland Jaccard, Jean-Louis Kuffer, Douna Loup, Jérôme Meizoz, Jacques Mercanton, C.F. Ramuz, Noëlle Revaz, Jean-Pierre Rochat, Gustave Roud, Daniel de Roulet, Catherine Safonoff, Monique Saint-Hélier, Marina Salzmann, François Vassali, Alexandre Voisard, Jean-Bernard Vuillème, Luc Weibel, 2020, 336 pages
Site de la revue Les Moments littéraires
Gilbert Moreau publie aussi parallèlement son troisième hors-série : il s’agit de la correspondance entre Henri-Frédéric Amiel et Elisa Guérin (avant-propos de Luc Weibel), qui lui écrivit à l’aube d’un long échange de lettres : « Homme ne puis, femme ne daigne, âme suis. »