La vitre infrangible, le silence, la littérature, par Gérard Titus-Carmel, peintre et écrivain

GTC Ramures - Peinture n°1, 2015, acrylique sur toile, 146 x 114 cm
© Gérard Titus-Carmel

« Le silence – le mot est lâché -, l’espèce de silence qui, insidieusement, descend sur ces pages comme un brouillard, ou comme une bruine pénétrante, semble vouloir envelopper tout autour de lui ; il transperce jusqu’aux os les vivants et les morts qu’ils échangent, réduisant au strict nécessaire l’usage de la parole. »

On connaît le peintre et graveur Gérard Titus-Carmel, mais on sait peut-être moins qu’il est un auteur prolifique, ayant publié une cinquantaine d’ouvrages de toutes natures, essais sur l’art, la poésie, la littérature.

Il y a chez lui un même degré d’exigence concernant le geste du peintre et le geste de l’écrivain.

Comment dessine-t-on le vide ? Comment le trace-t-on ? Comment l’écrit-on ?

Analysant avec beaucoup de finesse les œuvres d’Yves Bonnefoy, de Pierre Michon, de Jacques Dupin, de Pierre Reverdy, d’Alain Robbe-Grillet, de Jean-Louis Baudry, de Jean Echenoz, dans une grande attention portée à la poésie moderne ou contemporaine (Antoine Emaz, Gustave Roud, Hart Crane, Bernard Vergaftig, James Sacré), Gérard Titus-Carmel ne sépare érudition et sensation de l’absence, fête du langage et vertiges du silence.

On trouvera ainsi dans l’important volume Ecrits de chambre et d’écho, publié par les éditions L’Atelier contemporain, l’intégralité de ses écrits sur la littérature (1992-2019), pendant indispensable à l’ouvrage paru en 2016 concernant ses propos sur la peinture, Au vif de la peinture, à l’ombre des mots.

GTC La Bibliothèque d'Urcée - Département des Traces et Empreintes dessin n°3
© Gérard Titus-Carmel

Le blanc se met à parler, comme un fantôme en soi.

La lumière est aveuglante, comme la solitude.

Il y a dans la lande, près de la falaise, une église de pierre.

Ecrire/peindre au bord du vide, dans un état proche de l’égarement.

Sens à vif, et « gel intérieur ».

Menace d’onglée.

Clairière : « C’était chaque fois la même chose : une douce et discrète caresse parcourait d’abord le revers de son front, comme un très léger effleurement d’aile, presque rien, un souffle d’air frais. Puis, après s’être arrêtée quelques instants dans la région centrale du cou, une brume diffuse semblait descendre lentement dans le puits de son corps avant de se libérer brutalement, le remplissant tout entier de vapeurs claires. »

GTC La Bibliothèque d'Urcée - Papiers d'Orient. Dessin n°1
© Gérard Titus-Carmel

Le poète américain Hart Crane (1899-1932), objet d’un essai d’une soixantaine de pages publié en 1998 aux éditions du Seuil, en collection Fiction & Cie : « Très tôt, Hart Crane sut que son œuvre était vouée à l’inachèvement. Mais, peut-être aussi, que ce serait là sa beauté : une œuvre en éternelles suspensions, et belle de son effrangement même. (…) De Whitman à Joyce, de Nerval à Musil, de Proust à Faulkner, la littérature – pour en rester à la littérature, mais il en est de même pour les autres arts – est riche de ces monuments jetés par-dessus le gouffre, et dont la splendide architecture n’est que celle d’une aspiration déraisonnable qui ne peut, finalement, que dépasser son auteur. »

Gustave Roud (1897-1976) : « Gustave Roud, wanderer définitif, est devenu ce marcheur ébloui par l’attente, qui ne craint que l’épreuve grandissante du néant et de n’avoir à ressentir perpétuellement l’insuffisance de sa voix, « le peu de réversibilité de son chant ». Il redoute tout ce qui pourrait le distraire de ses interminables marches solitaires à travers le paysage alentour ; même les quelques rares visites ou les obligations avec les éditeurs l’épuisent par avance, et ne finissent que par lui faire mesurer l’étourdissant isolement auquel il semble condamné. »

Pierre Michon, au seuil de la caverne, lors d’un colloque à Cerisy-la-Salle : « Pierre Michon nous appelle de très loin, en effet, depuis le lointain d’une langue nostalgique et brutale, parfois lyrique, presque précieuse, mais qu’il ensauvage aussitôt comme s’il voulait garder pour lui seul le secret de ses beautés, déjà si difficiles à conquérir et si dangereuses ensuite à manier. »

Parfois, l’auteur rêve, ou cauchemarde, voit des doubles, des présences, écrit des nouvelles à la façon de Guy de Maupassant ou de Villiers de L’Isle-Adam.

Dans un texte de 2019 : « Voilà donc mon espace partagé en deux, comme je le suis moi-même, une partie alimentant de mes lectures vagabondes une pensée sans cesse à vif (sinon en alerte), en tout cas attentive à la seule exigence du langage – et, bien sûr, surtout où la poésie le travaille – mais qui, à l’atelier, la couleur toujours au corps et débordant maintenant les yeux, est tentée de succomber aux séductions de la peinture ; et celle-ci en retour, meublant déjà de sa mémoire l’autre domaine, en écho aux questions que soulève l’écriture quand elle se trouve seule face au vide qu’elle a creusé : cet espace blanc de la langue que les mots ne peuvent combler. »

GTC Ramures - Peinture n°2, 2015, acrylique sur toile, 146 x 114 cm
© Gérard Titus-Carmel

Toute sa vie, Gérard Titus-Carmel a donc élu l’écriture comme son autre lieu, de repos, de fécondité, d’expérience intérieure, mais aussi comme un laboratoire du moi, sa bibliothèque prenant la forme d’un vaste autoportrait.

« Et si, en définitive, l’écriture était cette fissure, ce jour béant, entre moi et moi – et qu’il n’était de littérature, essentiellement, qu’en sa destination, qu’en sa qualité d’adresse ? »

Titus-Carmel ? vocation : poète.

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Gérard Titus-Carmel, Ecrits de chambre et d’écho, préface de Thomas Augais, L’Atelier contemporain, 2019, 648 pages

Editions L’Atelier contemporain

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Se procurer Ecrits de chambre et d’écho

Se procurer Au vif de la peinture

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