
güle güle fait partie de ces livres qui m’enchantent immédiatement : un titre drôle et énigmatique, une maquette simple et pourtant arty, des images directes, parfois à la limite du mauvais goût ou du ratage, une sensation de vie immédiate.
Pas un livre-mausolée, un livre-respiration.
C’est un voyage à Istanbul tel que ne le font pas les touristes.

güle güle signifie « au revoir » en turc, mais, pour nous, lecteurs, c’est une invitation à découvrir la ville en ses multiples aspects, coins et recoins.
Voici donc un livre mosaïque n’ayant pas peur du kitsch, ni de l’amour, ni de la religion, ni de la folle quotidienneté.
Un ouvrage bicéphale – et composé de diptyques – où les photographes Jean-Marc Caimi et Valentina Piccinni exposent leur vision d’une ville complexe, accueillante, parfois discriminante – envers les homosexuels, les réfugiés syriens, les Africains -, moderne et rurale.

Construire, déconstruire, mettre en tension, bâtir des diptyques, créer des dialogues, ménager des rencontres à la façon d’un patchwork très souple.
güle güle, qui est un chaosmos (lire Kenneth White), se fiche de la belle image impeccablement cadrée, mais recherche l’intensité, la sensation de l’existant, l’émotion brute.
Il y a ici de la fureur de vivre, des voiles et des peaux nues, des signes de religiosité et des moments de fête.

Mais la politique n’est pas absente de l’esthétique, la question kurde fracturant la société et s’invitant parfois discrètement dans les images.
Istanbul sue, se marie, fume, prie, prend le métro, se travestit, s’amuse, se baigne, nourrit ses chats.
Le peuple est là, comme à Naples, à Sao Paulo – parenté des couleurs entre les photographies d’Alexandre Furcolin et ceux du duo Caimi/Piccinni – ou à Calais, dans ses objets de peu, dans ses têtes déglinguées, dans ses appartements pauvres, dans sa mélancolie et ses excès.

Istanbul a la peau noire, des murs lépreux, et des ciels limpides.
güle güle se lit très vite, explose les yeux, puis se reprend, se respire, arrête longuement le regard happé par le double sentiment d’altérité et de monde commun.
Vous prendrez bien un café en terrasse près du Bosphore, mademoiselle ?
Vous sortirez bien ce soir avec moi, vous verrez, les Turcs sont les meilleurs danseurs du monde ?

Vous ferez bien encore un tour dans l’ironie et la jeunesse infinie ?
Istanbul est épuisée, c’est une feuille de salade racornie.
Istanbul a le regard fier, et masque sa pauvreté et ses impasses par les plus beaux sourires.
Jean-Marc Caimi & Valentina Piccinni, güle güle, texte de Brad Feuerhelm, André Frère Editions, 2020, 128 pages

• Mention spéciale au Kassel dummy-book award
• Shortlist au Luma Rencontres Dummy Book Award
• Shortlist au Photoboox Awards – Photolux
• Mention spéciale au Premio Marco Bastianelli
• Lauréat du Prix découverte au Sony World Photography Award
• Lauréat du Prix Gibellina PhotoRoad
• Finaliste aux Voies Off Screening Nights
• Finaliste aux Warsaw Photo Days

Le projet güle güle sera également présenté à la prochaine Biennale de Mannheim «für aktuelle Fotografie» à travers l’exposition d’une sélection de diptyques imprimée en grand format. L’exposition, dont le commissaire est David Campany, a pour titre When images Collide et se tient au musée Ailhelm-Hack