Pudeurs adolescentes, par Jérôme Blin, photographe

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© Jérôme Blin

Avec L’entretemps, superbe livre de portraits d’adolescents du photographe Jérôme Blin, les éditions Sur la Crête montent en puissance.

Une couverture à rabats d’un bleu céruléen, des coulures presque tachistes, une sensation d’effritement dans l’idéal, comme une vision des troubles, mélancolies et beautés adolescentes.

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© Jérôme Blin

Une reliure à la bodonienne, des pages blanches, des images qui respirent, des visages qui s’imposent, et se déploient intérieurement chez le spectateur dans le lointain des regards et présences saisis dans toute leur pudeur.

Un double texte du même auteur, Emilie Houssa, historienne de l’art et romancière, encadrant le corpus visuel.

L’entretemps – ne pas confondre avec L’entre temps, de Christine Lefebvre, chez Filigranes Editions (2017) – est le fruit d’un travail de plusieurs années, effectué en zones rurales et périurbaines, dans la région des Pays de la Loire, cherchant à rendre compte, sans singer une quelconque approche de scientificité sociologique, de l’être adolescent en ces territoires bien moins visibles que les centres attractifs des mégapoles où s’affiche la puissance des possédants (Lille, Bordeaux, Nantes…).

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© Jérôme Blin

Au moyen format argentique, Jérôme Blin photographie avec beaucoup de tendresse, et le sens de la juste distance, des jeunes femmes et hommes rencontrés à plusieurs reprises.

Il ne s’agit pas de voler des âmes, mais de recueillir en chacun la force d’un retrait, comme si chacun hésitait encore à pleinement s’inscrire dans le monde adulte, la recherche identitaire et le questionnement quant à la place sociale à peut-être occuper faisant partie de l’essence de l’ontologie adolescente.

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© Jérôme Blin

Des motos, des bâtiments désaffectés, des bars et des bris.

Se joue et rejoue en ces lieux moins fortunés que les grandes capitales régionales la dialectique du groupe (se reconnaître en gestes, vêtements et poses corporelles) et de l’individu isolé (aller vers le Soi comporte des risques).

Jérôme Blin photographie remarquablement des fragilités, peu valorisées par l’ordre économique dominant fondé sur la frérocité (Gérard Haddad) et la compétition généralisée tendant à la lutte finale (le néolibéralisme comme fabrique de déchets).

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© Jérôme Blin

Pour le moment, on peut encore se permettre de douter, de s’interroger, de chuter, de claudiquer.

On peut encore boire et fumer sans modération, délirer lors d’interminables nuits blanches, ne pas être responsable comme papa et maman (qu’ont-ils fait de leur vie ?).

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© Jérôme Blin

Il y a une grâce adolescence, quand tout est encore possible, et que les coups reçus ne se sont pas transformés en kystes et raideurs indéracinables.

On peut se permettre d’attendre, de ne rien faire, jusqu’à l’insupportable ennui, dont on ne sait de quels rêves il accouchera.

Casquettes à l’envers, jeans troués, skate, téléphones portables.

Les terrains de jeux sont aussi des espaces de déréliction, mais l’on peut encore se regarder, le masque n’est pas obligatoire.

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© Jérôme Blin

Rendez-vous à La Fantasia de Marrakech, de Saint-Herblain, le couscous y est excellent.

Rendez-vous dans les corridors de la nuit.

Rendez-vous là où personne ne pourra nous comprendre.

Dans une belle formule, Emilie Houssa résume : « Des adolescents héros du vide affrontant l’ennui à mains nues. »

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Jérôme Blin, L’entretemps, textes Emilie Houssa, Sur la Crête éditions, 2020 – 300 exemplaires

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Editions Sur la Crête

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© Jérôme Blin

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