© Françoise Chadaillac
« Y’a pas un Québécois qu’y a pas une patate frite dans l’cœur… »
Mes dernières excellentes frites en photographie datent du début de l’année 2019, avec la parution de l’ouvrage Platteland du Belge Simon Vansteenwinckel (j’en signe le texte) aux bien-nommées Home Frit’ Home Editions.
© Françoise Chadaillac
Autre géographie, autre époque – puisque nous sommes au Québec entre 1979 et 1982 -, mais mœurs similaires, avec Françoise Chadaillac, auteure de La Reine de la patate, titre faisant aussi bien songer aux traits d’esprit du père Audiard, ou à une série noire, qu’à la fameuse théorie de Tiphaine Le Gall (roman Une ombre qui marche, L’Arbre vengeur, 2020) sur la fatale loi conjugale des épluchures de patates.
Antonio Jiménez Saiz ne me démentira pas, les meilleures frites belges se trouvent du côté de la place Flagey, à Bruxelles – surtout quand il s’agit de calmer un enfant impatient -, mais, de l’autre côté de l’Atlantique, où l’on jase avec son chum en dégustant une poutine (portion de frites avec morceaux de cheddar) après avoir fait la ligne, où se rendre ?
© Françoise Chadaillac
A Contrecoeur ? A Sorel ? A La Tuque ?
Les adresses datent un peu (voir en fin d’ouvrage, Chez Mado à Berthierville, Chez Rose à Pointe-du-Lac, Chez Ti-Pierre à Marieville…), les plus fins gourmets enquêteront.
Fruit des errances de Françoise Chadaillac dans ce pays où l’on se souvient, La Reine de la patate est un livre beat, attentif aux architectures précaires des bords de route, à la vie qui s’y attache, aux rencontres qu’elles autorisent.
© Françoise Chadaillac
Au Québec, on va au stand, comme on va manger à Calais à la plage un beignet tunisien, c’est un rite, un passage obligé, un incontournable identitaire.
Rien de grandiloquent ici, où coule le Saint-Laurent, bien sûr, mais des photos en noir et blanc (nuances de gris) au Asahi Pentax 6×7 qui tiennent la route, et font l’éloge des plaisirs simples comme du vivre-ensemble.
© Françoise Chadaillac
J’entendais récemment, à la cafétéria de l’hôpital de Dunkerque, une employée répondre à un patient se demandant si le sandwich qu’il convoitait contenait du porc : « Tu manges ce que tu veux, mon gars, mais tu restes avec les autres. »
Le triomphe de la frite est en cela le jalon d’une démocratie véritablement participative.
Il faudrait montrer La Reine de la patate là-haut (Robert Frank) ou ici-bas (Bernard Plossu), en s’enchantant de leur réaction, puis se rendre en Cadillac à la première cantine du détour venue.
© Françoise Chadaillac
Les photographies déclenchent les rêveries, les souvenirs, chaque fois heureux : « Pour moi, l’dimanche, c’était pas une crème glacée, c’était une patate ! »
Des grands espaces, des enseignes Coca Cola, Pepsi ou 7up, des bancs et des tables de pique-nique.
Nourrie à la frite, la chair s’arrondit, s’adoucit, se sensualise. Non ?
© Françoise Chadaillac
Papa, habille-toi, c’est l’heure de la patate !
Derrière le Casse-Croute, à Château-Richer, on se bécote à fond les gamelles.
Les gamins chapardent au comptoir, les bikers ronronnent, ce sont de bons gros chats.
Prête-moi ta Harley, que j’y mette du gras.
© Françoise Chadaillac
Tiens, Roman Polanski s’est arrêté (page 68), et Dennis Hopper (page 71), la patate des champs et des zones périphériques, c’est bien mieux que la cantine hollywoodienne.
Tu sens le graillon, ma chérie, viens près de moi, je vais te sucer, te lécher, te laver.
Le temps passe, les saisons, les visages, les amours, peut-être moins vite qu’une patate sauce à la tombée de la nuit.
Wim Wenders démarre, il doit finir le tournage de L’ami américain.
Françoise Chadaillac, La Reine de la patate, éditions Loco (avec le soutien de l’agence Le Chat bleu), 2020, 126 pages
© Françoise Chadaillac