Sur le vif, par Sabine Weiss, photographe

Jeune orthodoxe, Sofia, Bulgarie, 1994©Sabine Weiss

Jeune orthodoxe, Sofia, Bulgarie, 1994 © Sabine Weiss

« J’ai voulu témoigner de la profondeur de l’être, la révéler, au grand jour. »

Oui, bien sûr, Sabine Weiss, ce sont les baisers d’amoureux, les enfants, les petits métiers (mariniers, lavandières, balayeurs, ramoneurs…), le peuple, la rue, l’âpre quotidien, la tradition humaniste, dit-on facilement en pensant aussi à Doisneau, que l’expression énervait – il la fit entrer à l’agence Rapho.

Mais c’est aussi, tout en étant cela, beaucoup plus, une œuvre-vie, multiple – entre mode, reportages, publicité, travaux personnels -, inventive, partageuse, curieuse, généreuse, notamment dans la façon d’aller à la rencontre de l’humaine condition partout dans le monde (Japon, Inde, Etats-Unis, Turquie, Italie, Autriche, Bulgarie, Egypte, Taïwan, Grèce, Hongrie, Mexique, Tunisie, Guatemala, Portugal, Birmanie…).

La petite gitane,Saintes-Maries-de-la-Mer©Sabine Weiss

La petite gitane, Saintes-Maries-de-la-Mer © Sabine Weiss

Une œuvre qui par la drôlerie ou cocasserie des situations parfois, et le sens de la fraternité, rappelle celle de Jacques Prévert, facétieux et sérieux sans pédanterie.

Les Editions de La Martinière lui consacrent une belle monographie, Emotions, qui contribuera, avec un corpus de deux cents photographies célèbres ou plus rares (1945-années 2000), à la diffusion de son œuvre, et au plaisir de tous ceux qui n’ont pas fait du calcul et du cynisme leur mode  d’accès privilégié à l’existence.

Sabine Weiss, née en Suisse, a aujourd’hui 96 ans, elle est d’hier, d’aujourd’hui, et pour longtemps de demain.

La photographe connaît son métier, le sens d’un cadrage, d’une juste distance, d’un décalage, des nuances du noir et blanc.

Dun-sur-Auron, 1952©Sabine Weiss

Dun-sur-Auron, 1952 © Sabine Weiss

Elle sait voir ce que peu verront, c’est une artiste – elle récuse le mot -, une saltimbanque – encore moins -, une professionnelle discrète – j’ai son accord.

« Sabine Weiss, précise Marie Desplechin qui signe la préface, n’a pas voulu l’admiration des foules. Elle balaye d’un geste l’idée même qu’elle aurait pu la rechercher. « Je n’en avais pas besoin… J’avais du travail. » Trois de ses photos ont pourtant figuré dans la mémorable exposition présentée au MoMA en 1955, The Family of Man. Le conservateur Edward Steichen, auquel elle avait été recommandée, l’avait d’abord gentiment découragée. Elle semblait si jeune. Trente ans. Puis il avait jeté un œil à son dossier et s’était ravisé. »

Plus que les enfants s’amusant avec un ballon ou les joueurs de cartes, me touchent les images de solitaires, de couples cabossés, de modern love (Couple sur un banc, 1985, ou à Venise en 1982), et toute la cohorte des beaux loqueteux, fils de ferrailleurs et de la misère, porte de Saint-Cloud, à Malte, en Espagne, au Portugal.

Courses à Auteuil, Paris, 1952©Sabine Weiss

Courses à Auteuil, Paris, 1952 © Sabine Weiss

L’hygiène et les cinq fruits par jour ?  Non, des haillons d’argent et des sourires à fendre le bitume.

Le cœur de l’Europe bat sur les pierres noires de Naples, et avec les gitans des Saintes-Maries-de-la-Mer.  

Sabine Weiss aime les chats, les chiens, et les volailles, quand il y en avait encore dans les rues à l’heure du marché.

Ses hommes, femmes et enfants en prière sont magnifiques, parce qu’ils sont saisis dans un moment de communication avec l’invisible et que leur regard est ailleurs.

Vanneurs, Inde, 1999©Sabine Weiss

Vanneurs, Inde, 1999 © Sabine Weiss

Avec le temps, les photographies de la grande marcheuse ont pris une patine ethnologique, alors que la paysannerie traditionnelle a disparu, que les costumes ont été oubliés, que les pratiques culturelles se sont standardisées.

Chez Sabine Weiss, on se rassemble, on danse, on rit, le monde existe encore, et les objets, les animaux, les visages.

Il faut tenter de voir son œuvre d’un œil neuf, moderne, sans passéisme, et la libérer de l’imagerie qu’on aime trop souvent encore lui associer.

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Sabine Weiss, Emotions, texte de Marie Desplechin, Editions de La Martinière, 2020, 256 pages

Editions de La Martinière

Sabine Weiss est exposée à Les Douches la Galerie, du 19 novembre 2020 au 30 janvier 2021 (vérifier les dates)

Egypte, 1983©Sabine Weiss

Egypte, 1983 © Sabine Weiss

Les Douches la Galerie

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