© Michaël Serfaty
« Je ne trahis pas, je témoigne. Je ne révèle pas, je m’insurge. Je ne dévoile pas, je crie. », écrit Michaël Serfaty, gynécologue et photographe.
Depuis trente ans, dans un volumineux carnet d’artiste – composé de dessins, de bouts de scotch, de ficelles et de tissus, d’images collées, de menus objets, de tickets divers -, il note des phrases, des fragments d’histoires, des réflexions émises par les patientes reçues dans son cabinet.
Un livre publié par Arnaud Bizalion Editeur, avec qui il avait déjà réalisé en 2019 Les Bras du séquoia, recompose cet ensemble très riche, surtout très émouvant, et totalement personnel dans la traduction en gestes plastiques des paroles fondamentales qu’il entend.
© Michaël Serfaty
Je vous écris avec la chair des mots est un ouvrage éminemment humain, un hommage à toutes les femmes lui ayant fait confiance.
On ouvre ce volume avec beaucoup de respect, de précaution, d’attention, parce qu’on le sait rempli de peines, de douleurs, d’aveux tremblés.
« Il y a là, écrit en préface Sylvie Hugues découvrant cette œuvre apotropaïque, des mots peints à même l’épiderme du papier, des fils qui semblent réparer des corps meurtris, des collages qui associent des objets médicaux et des portraits noirs et blancs… Je reste sans voix. »
© Michaël Serfaty
Médecin, Michaël Serfaty est un savant, mais il y a aussi en lui un artiste brut, doublé d’un enfant révolté par les injustices, cherchant de façon presque magique à intervenir sur la réalité en inventant avec énergie des propositions poétiques et enragées.
Sylvie Hugues poursuit : « Je découvre un homme confronté à la souffrance des femmes et qui, malgré ses années de pratique, peut se mettre à pleurer une fois la porte de son cabinet refermée… »
Les compositions plastiques du photographe, mises en relations avec les secrets de femmes, sont particulièrement signifiantes, disant les blessures, les voiles de pudeur, les impossibilités, les mots noués depuis des années dans le ventre et la gorge, enfin libérés.
© Michaël Serfaty
« Je refuse que mon corps soit abîmé et réparé. »
« Je vis / Sang dire un mot »
« Je ne veux pas déranger… je ne fais que passer »
« Les pages de ma vie sont vides »
Michaël Serfaty n’est pas directement psychanalyste, mais les phrases qu’ils relèvent disent tout des destins qu’il rencontre.
Ces pensées expulsées sont magnifiques, parvenant à la nudité d’être : « Je me languis d’être enfin seule dans mon corps »
© Michaël Serfaty
Recevant la société entière au féminin, le gynécologue voit des corps envahis, violentés, happés, des intimités blessées, soignant très certainement tout autant, voire davantage quelquefois, par l’écoute fine que par les gestes du spécialiste.
« J’ai passé ma vie sous cellophane »
« Je ne pourrais plus boucher tous les trous de mes manques »
Devant de telles paroles, comment ne pas vaciller ?
Une bouche barrée de fils noirs : « Autrefois j’étais une femme »
Une paire de ciseaux : « Je voulais arriver à me quitter »
Si Je vous écris avec la chair des mots est si réussi, c’est que son auteur entend, en poète, la parole à l’intérieur de toute parole, la voix première, qui est d’abord une vibration de mère touchant le fœtus, le berçant, le percutant, le formant.
Enfant, à Casablanca, puis dans une « banlieue d’exil », Michaël Serfaty entendait sa mère chanter, ou la voyait pleurer, « seul confidence de sa solitude ».
© Michaël Serfaty
Maintenant, le voilà qui, à la façon des surréalistes quelquefois, invente une fresque dédiée aux femmes, dont chaque page pourrait être longuement analysée.
Le geste est à la fois d’exorcisme et de soutien, d’antidote et d’accompagnement.
« On m’a réduite au silence »
Les photographies sont une peau percée par le fil rouge de la création.
« Je suis en mille morceaux »
Je vous écris avec la chair des mots – titre repris à Edmond Jabès, poète de l’exil – est une odyssée inouïe, un témoignage exceptionnel sur des vies de femmes ayant connu l’impossible.
Comment être soi ? Comment oublier ? Comment ne pas oublier ?
« Si au moins je pouvais m’aimer »
Des poils, des aiguilles, du sang, des chiffons, des larmes amères.
« Ce qui m’arrive a un sens mais je ne l’ai pas encore compris »
Et lorsque l’on croit que c’est fini, et que l’on veut déjà tout relire, tout repenser, tout ressentir de nouveau, l’on découvre un cahier chuchoté inséré dans le rabat de quatrième de couverture.
En alternance, des mots de femmes et des mots d’écrivain, de Marie Darrieusecq, dont Michaël Serfaty a relu le grand œuvre.
Des voix.
L’une : « Mon ventre est un morceau de bois. »
L’autre : « Et son visage était de plus en plus étrange : comme si une main géante y avait planté ses griffes et le déformait. »
Qui est l’une ? qui est l’autre ?
Ensemble, elles sont.
Michaël Serfaty montrera son travail en 2021 chez Jacques Borgetto à l’Hôtel de Sauroy, il ne faut surtout pas manquer son exposition, qui sera, c’est une évidence, exceptionnelle.
Michaël Serfaty, Je vous écris avec la chair des mots, textes de Sylvie Hugues et Marie Darrieussecq, graphisme et maquette Marie-Anne Hauth, Arnaud Bizalion Editeur, 2020
Arnaud Bizalion Editeur – Michaël Serfaty
Michaël Serfaty est membre de l’Agence Révélateur
Je vous écris avec la chair des mots sera exposé au printemps 2021 à l’Hôtel de Sauroy (Paris)
Quel témoignage ! Difficile de ne pas le commander tout de suite !
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Très bonne article ravie de le lire.
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