Invalides, le respect de la patrie, par Philippe de Poulpiquet, photographe

Institution Nationale des Invalides
Yves de Daruvar © Philippe de Poulpiquet

Mon grand-père maternel fut un résistant de la première heure, déporté, grand invalide de guerre, patriote.

Je suis objecteur de conscience, peu enclin à me soumettre aveuglément à la hiérarchie, enfant blessé gâté.

Cependant, je ne crois pas être un renégat, ou un blasphémateur, et j’ai profondément écouté, le dimanche, une parole qui tremblait encore.

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Jacqueline Moncorgé © Philippe de Poulpiquet

Divergents et liés, nos chemins sont tissés de phrases, de regards, de gestes, d’images, de symboles partagés.

Je le revois, droit, fier, ému, alors qu’il recevait la Légion d’honneur, comme son père avant lui, décoration venant en rejoindre d’autres dans un cadre bien rempli.

Des amis de jeunesse, des compagnons d’armes, étaient là, parfois en fauteuils roulants, et en habits militaires. Un porte-étendard, une dame ridée, très belle, ayant beaucoup servi la patrie, des visages qui disparaissaient peu à peu au fur et à mesure des autres cérémonies, jusqu’à l’ultime, au cimetière de Calais, au son du clairon il y a deux ans.

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© Philippe de Poulpiquet

En voyant à Brest les jeunes gens de l’Ecole navale, je pense à lui, dont les études s’étaient brutalement arrêtées à seize ans, des copains électriciens de la CGT l’ayant persuadé, sans trop de mal j’imagine, de rejoindre le combat contre l’Occupant.

En lisant Invalides. Mémoires de guerre, du photographe Philippe de Poulpiquet, ouvrage paraissant à l’occasion de la commémoration des 350 ans de l’institution de l’Hôtel royal des Invalides, à Paris, mon grand-père est encore là, lui que les Nazis avaient torturé à la cigarette, le suspendant par les bras et lui brisant les membres supérieurs, qu’il ne pouvait plus bouger qu’à peine.

Commandé par Louis XIV à l’architecte Jules Hardouin-Mansart, le dôme de l’église Saint-Louis est l’un des points culminants de Paris, dialoguant en secret avec le château de Versailles : d’un côté le respect dû aux vieux soldats, l’accueil inconditionnel des serviteurs de la patrie, de l’autre les fastes, la gloire, une puissance rayonnante.

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© Philippe de Poulpiquet

Napoléon puis Clémenceau ont souhaité préserver les missions premières – soin, accompagnement, repos bien mérité – de ce lieu exceptionnel, recevant aujourd’hui également les victimes des attentats, notamment ceux de novembre 2015.

« Âgées de trente à cent quatre ans, précise Christophe de Saint-Chamas, général de corps d’armée, 45e gouverneur des Invalides, toutes les générations se côtoient : résistants, déportés, soldats d’Indochine, d’Algérie, blessés en service ou en OPEX. Ils habitent au sud des Invalides, face à la place Vauban, de part et d’autre du dôme des Invalides, au sein de l’Institution nationale des Invalides qui assure la pérennité de la mission régalienne d’accueil de nos soldats. »

Centrant son reportage sur la mission de soin des Invalides, Philippe de Poulpiquet s’attache à des visages, des parcours, des corps meurtris, accompagnant ses photographies de pages retraçant le destin des résidents, hommes et femmes, célèbres (la plasticienne Geneviève Asse, Hubert Germain, compagnon de la Libération) ou plus anonymes.

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© Philippe de Poulpiquet

Ida a reçu dix balles lors des attentats de novembre 2015, Djamel quatre, la guerre peut surgir à n’importe quel moment.

« J’ai été fasciné, impressionné par leurs parcours, confie le photographe, par leur courage, leur engagement et par la douleur qui hante ces lieux, les Invalides, depuis trois cent cinquante ans. »

Les derniers témoins, de la Shoah, de la Seconde Guerre mondiale, disparaissent, une course contre le temps a lieu pour recueillir des paroles, rencontrer des soldats, des résistants, des civils engagés volontaires.

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Jean Baby © Philippe de Poulpiquet

Philippe de Poulpiquet les regarde dans toute leur dignité, avec compassion, tendresse, affection, un immense respect

Aucun jugement – l’on comprend par exemple que l’un des pensionnaires pratiqua la torture en Algérie, et qu’il considérait que cette abomination était de son devoir -, mais une tentative de comprendre, et beaucoup de pudeur.

La mémoire collective est à préserver, mais aussi à construire et reconstruire sans cesse, certes avec rigueur, mais sans oublier la complexité humaine.

A l’hôpital de jour travaillent des infirmiers, kinésithérapeutes, ergothérapeutes, agents de salle, orthoprothésistes, médecins, souvent bien plus jeunes que leurs patients, la confrontation entre les générations s’avérant particulièrement émouvante – comment accéder à l’autre, à ses souffrances, à ses doutes ? Comment l’aider vraiment ? Jusqu’où aller ? -, notamment lorsque chacun se retrouve autour d’un cercueil à l’heure d’un dernier adieu.

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Geneviève Asse © Philippe de Poulpiquet

Car ici, on ne meurt pas seul.

L’Indochine, l’Algérie, l’Afghanistan, le Mali, la guerre n’est pas une image ou un discours, elle est ici inscrite dans les chairs, les corps handicapés, mutilés, amputés.   

« Ces blessés des Invalides, poursuit le photographe, m’ont aussi renvoyé à mes propres expériences de la guerre, en tant que photojournaliste, à mes confrères blessés ou tués en Syrie ou en Irak. Je pense à Yves Debay ou Rémi Ochlik. A mon propre accident également en Irak, lorsque je couvrais l’offensive des peshmergas et de l’armée irakienne sur Mossoul. En 2013, je photographiais les conséquences de la guerre en Afghanistan et ses blessés à Percy. En 2016, d’un coup de malchance, je me suis alors retrouvé de l’autre côté du miroir, à leur place, rapatrié d’Irak, puis soigné de mes fractures dans ce même hôpital militaire de Percy. Cet accident a paralysé à vie mon binôme journaliste, Frédéric Gerschel, lui-même soigné aujourd’hui trois fois par semaine aux Invalides. Ma propre histoire a rencontré celle de ces pensionnaires. »

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Mano Shrestha © Philippe de Poulpiquet

Ils se nomment pour toujours André Tassin (photo de couverture), Geneviève Litt, Ali Morski, Yves de Daruvar, Francis Pillet, Jean Rives-Niessel, Georges Guillot, Monique de La Brosse, Jean Baby, nécessités et désastres de la guerre.

Simone Veil n’aimait pas l’expression devoir de mémoire, trop scolaire.

Davantage que par la culpabilité de ne pas se souvenir, la mémoire de nos anciens ne survivra vraiment que dans le cœur de ceux qui ressentiront initmement le besoin de les faire vivre à travers eux.

Il y a quelques années, je me suis rendu à l’Institution des invalides de la Légion étrangère à Puyloubier, sur les contreforts de la montagne Sainte-Victoire.

C’est un endroit exceptionnel où l’on cultive des vignes, un lieu de haute reconnaissance pour des vies ayant connu en leur chair le sens du sacrifice.

En écrivant ces dernières lignes, je pense d’une autre façon aux écrivains Charles Juliet, enfant de troupe, et Yannick Haenel, ex-petit soldat, et à mon père qui m’emmena pour ma première fois à Paris visiter le musée de l’Armée.

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Philippe de Poulpiquet, Invalides. Mémoires de guerre, textes de Joël Coste, Michel Guisset, Ariane James-Sarazin, Alexis Jenni, Christophe de Saint-Chamas, Anthony Petiteau, sous la direction d’Anthony Petiteau, conception graphique Patrick Le Bescont, Filigranes Editions / Musée de l’Armée, 2020

Filigranes Editions

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© Philippe de Poulpiquet

Philippe de Poulpiquet – site

Exposition éponyme au Musée de l’Armée (Paris), du 19 septembre 2020 au 3 janvier 2021 (vérifier les dates)

Musée de l’Armée

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Se procurer Invalides. Mémoires de guerre

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