© Julie Balagué
Auteure des ouvrages Eloge du logement (1993) et Des racines pour la ville (1998), Renée Gailhoustet s’est beaucoup questionnée sur la nature du logement social et sur ses liens avec la ville.
Le quartier de la Maladrerie à Aubervilliers en Seine-Saint-Denis, construit à la fin des années 1970, est l’une de ses réalisations les plus notables – huit cent cinquante logements sociaux en gradin tous différents et cinquante ateliers d’artistes disposés sur près neuf hectares.
© Julie Balagué
Du béton, du verre, des terrasses végétalisées : que chacun se sente chez soi, tout en participant d’un destin commun, en soi sans négliger l’extérieur.
Installé à « la Mala » depuis 2017, l’artiste Julie Balagué a photographié les bâtiments et les habitants qui les occupent, interrogeant chacun, suscitant et écoutant des paroles singulières, enthousiastes ou inquiètes.
L’universitaire et historienne de la photographie Raphaëlle Berto la présente ainsi : « Julie Balagué se dit photographe. Or son travail déborde largement celui de la prise de vue. Elle regarde, écoute, dispose, met en forme. La photographie, si elle existe, n’apparaît pas comme l’unique finalité. Elle participe d’une stratégie de la rencontre. »
© Julie Balagué
On dirait une forteresse trouée, protectrice plus que défensive.
Un étang, des végétaux en cascade, et la force du béton gris, qui s’érode un peu, se strie, vit.
S’inspirant des témoignages recueillis par Julie Balagué, la romancière et critique littéraire Fanny Taillandier a composé une série de courts textes pour accompagner les photographies : « Regarde / Nous ne baissons pas le regard // Nous habitons les triangles scalènes dont aucun côté n’est égal et qui ensemble dessinent des étoiles »
© Julie Balagué
Impression d’une vie autonome des bâtiments en dehors de leurs propriétaires ou locataires.
Des triangles, des formes angulaires, et des plantes redevenues sauvages.
La dignité, la pauvreté, la classe ouvrière.
© Julie Balagué
Des tags, de la vétusté qui s’installe, et des efforts de rénovation à prévoir.
Beauté d’une femme en boubou dans une architecture accueillant toutes les identités, toutes les mémoires.
Tout le peuple, tous les peuples.
« Nous sommes chemins nocturnes et mémoire secrète / Les traces de nos pas forment des labyrinthes dont ils ne sauront jamais reproduire la trame / Nous sommes la forêt qui toujours revient et pousse / Les saisons marquent nos racines et nos cimes »
© Julie Balagué
Les chemins piétonniers sont multiples, voire labyrinthiques, comme la diversité humaine.
« A la Maladrerie, précise l’urbaniste Katherine Fiumani qui travailla à son élaboration, l’architecture est collinaire et verdoyante, à l’image des jardins de Babylone, réel miracle en ville. Les grimpants habillent le béton des façades, les rez-de-chaussée généreusement plantés par l’architecte et l’artiste paysagistes Gérard Chireix complètent l’ensemble. La Maladrerie est un parc habité où la nature épouse le minéral. »
La terrasse comme lieu de partage est l’une des grandes idées de cet ensemble architectural imposant mais généreux.
© Julie Balagué
Utopie Maladrerie est un travail documentaire en suspension, poétique sans sentimentalité mièvre, lyrique à la façon du chant des entités de béton pour le peuple, pour le rêve, et pour la mélancolie.
Julie Balagué, Utopie Maladrerie, architecte Renée Gailhoustet, textes Fanny Taillandier, contributions de Katherine Fiumani et Raphaëlle Bertho, direction éditoriale Eric Cez, design graphique Lola Halifa-Legrand, Editions Loco, 2021, 92 pages