© Myr Muratet
Paris Nord est la première monographie de Myr Muratet, publié chez Building Books.
C’est un livre de rage, de liberté, de solidarité, et de grand calme.
Plus de deux cents images sur papier souple et glacé, glaçantes, toutes puissantes.
© Myr Muratet
Pendant plusieurs années, depuis presque toujours, Myr Muratet photographie avec ou sans appareil la gare du Nord, ses passagers, ses passants, les alentours, les zones de relégation, et les dispositifs de contrôle, de surveillance, de coercition, défigurant l’en-commun.
« Paris Nord » est peut-être moins un lieu qu’un concept désignant la violence biopolitique – le tri, l’évaluation différenciée, le devenir-déchet d’une partie de l’humanité -, les dispositifs de contrôle, et la survie dans les marges.
On n’est pas loin ici d’une sensation d’insurrection, de retournement des rapports de force, d’un soulèvement des misérables contre ce qui les oppresse.
© Myr Muratet
Myr Muratet photographie des banques et des sans-logis, des jeunes sans emploi et des structures de pouvoir, des invisibles et des plus nantis.
Des trains et des couloirs de pisse, des grilles anti-SDF, des tags, des squats.
Des affiches publicitaires (des lèvres mouillées) et de la crasse.

Du temps perdu et du temps rentabilisé (TGV).
Des blocs de pierre barrant le passage et des campements de fortune dans les sous-bois.
Des hommes saouls, drogués, désespérés.
© Myr Muratet
Des abris de cagettes et des tentes incendiées.
De quoi se chauffer, de quoi se vêtir, de quoi se nourrir.
Pas d’explications, mais des images brutes : des toiles, des poêles, un bidonville.
Des Roms, des mendiants, des femmes, parfois très belles, vivant de rien.

L’insalubrité, la vétusté, l’insécurité.
Pas de blabla, du constat.
Des voitures cassées, des vies brisées, des décharges, des immondices, des ordures.
© Myr Muratet
Tel est le quotidien à « Paris Nord », où l’on fouille dans les poubelles, on l’on s’étend sur les plaques d’égouts pour se réchauffer, où l’on attrape la gale et la tuberculose.
Paris Nord, ce sont des tas de couvertures prenant la pluie, des bouts de pain posés sur le bitume, des chiens qui gueulent.
Traces de sang, traces de désespoir, mort, fosse commune, absurdité.
Un tronc creusé dans lequel dort un chanceux.
© Myr Muratet
Agents de sécurité et jungles de clandestins.
Mondialisation des fils de fer de barbelés.
On met la table sur un cercueil, on baise sous les ponts d’autoroutes, on s’enferme dans une burqa de plastique.
La ville se barricade, se munit de flashballs.
© Myr Muratet
Des réfugiés dorment porte de La Chapelle, des Gilets jaunes entrent dans l’action, des caravanes saccagées passent.
Plan vigipirate, armée du salut, dispositifs anti-personnel, friches, caches.
Laideurs contemporaines et contrepoint d’une nature inscrite dans le cycle des saisons.
On peut parier que la situation va bientôt dégénérer.
© Myr Muratet
Dans un cahier détachable, rose comme du papier-cul, Manuel Joseph (des livres chez P.O.L, Al Dante), né en 1965 à Aubervilliers, cogne, s’insurge, relève des phrases entendues dans les médias, et même un guide des mesures concernant les tailles femmes (poitrine, taille, bassin).
Son texte est assez fou – donc plutôt lucide – excessif, indigné, insupporté.
Tiens, voici un mail envoyé à la conseillère de sa banque : « Madame, merci de me fixer un rendez-vous au plus vite afin de « finaliser » cette assurance-vie que nous avons évoquée. Très très vite, c’est-à-dire cette semaine. »

Et cette semaine, c’est déjà trop tard.
Concerné consterné.
Coda : « Sinon le travail de Myr Muratet est parfait, et que la parution de ce livre coïncide avec l’effondrement de l’Occident est une chance, une bénédiction même ! »
Myr Muratet, Paris Nord, conception graphique Mathias Schweizer, textes Manuel Joseph, coordination éditoriale Agnès Clerc, Buiding Books, avec le soutien du Cnap et du Signe, Centre national du graphisme, Chaumont, 2020

Merci de nous faire connaître d’authentiques témoins d’authentiques histoires.
J’aimeJ’aime