Sicile, où rien ne commence vraiment, par Patrick Reumaux, écrivain

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Il Gattopardo

« Ne pas être aliéné par le travail permet de faire des rencontres. » (Patrick Reumaux)

C’est un livre étrange, assez fou, comme la Sicile, comme Palerme.

En référence et hommage au chef d’œuvre Il Gattopardo, de Giuseppe Tomasi di Lampedusa (1896-1957), seul roman de son auteur publié de façon posthume en 1958 (un an plus tard en français, au Seuil, dans une traduction de Fanette Roche-Pézard), Patrick Reumaux a écrit Les derniers guépards.

Une œuvre très libre, des scènes construites comme des tableaux, des dialogues, des notes de bas de page comme des pointes de saveur, des réflexions profondes et légères, l’air de rien, le temps de déguster une glace au jasmin.  

Ne pas travailler, administrer – un peu -, poétiser, jouer, donner des bals dans l’absurde : voici l’aristocratie sicilienne.

Je ne comprends pas tout – l’ellipse est un art de vivre/écrire -, je construis des continuités imaginaires, je laisse la place à l’enchantement, à la force des personnages, aux propos définitifs, aux pages plus neutres. Pas de hiérarchie, tout est au plus haut, jusqu’à la sprezzatura stylistique – point de vue transcendant de la haute société, qui n’admet pas de remise en question symbolique.

Fastes, gloires, démence, défi, entêtement, noblesse.

On peut lire Les derniers guépards dans l’ordre des chapitres – avec en introït un chauffeur de bus palermitain se tapant le front de s’être trompé de route -, ou se rendre immédiatement au deux-tiers de l’ouvrage au glossaire des principaux personnages et des lieux, chaque notice, accompagnée de repères bibliographiques, valant son pesant de palais en ruine.

Raniero Alliata di Pietratagliata (1897-1979), prince du Saint-Empire romain appelé aussi le Vieux Porc pour son goût du sexe : « Servi par une cuisinière toujours ivre, il s’enferme [dans son château de cent cinquante pièces en briques rouges] pendant plus de cinquante ans, se consacrant exclusivement à ses passions. L’entomologie, la peinture, la magie. »

Alessandro Tasca (1874-1943), prince de Cuto : « Un bel homme, bohème au point d’épouser une comtesse polonaise, brillant orateur, surnommé le prince rouge dans les salons de Palerme, car il a des idées socialistes. »

Mais il y a aussi (liste non exhaustive) les écrivains Vincenzo Consolo, Gabrielle d’Annunzio, Eugenio Montale, Lucio Piccolo, Leonardo Sciascia, le barbier de Capo d’Orlando Cosimo Emanuele, le chien Crab (adorabile), et la famille du guépard Giuseppe Tomasi (sa tante, sa mère, son oncle, sa femme), « un vrai monstre » confiant : « En moi, tout est mort. Morts tous les espoirs et les ambitions de ma première jeunesse. Morts, morts, morts… ces jours dorés où je rêvais de succès pour payer de retour les sacrifices que ma mère avait si volontiers consentis pour moi. »

Les derniers guépards ne se résume pas, mais s’incorpore et se prolonge en actes de vie, en gestes de non-agir.

Y passe tout un peuple de gnomes et d’êtres surnaturels, notamment un lycanthrope (en post-scriptum Alessandra Tomasi du Lampedusa, l’épouse, livre une interprétation psychanalytique de cette bizarrerie comportementale).

Palerme, où le sirocco exalte l’odeur des femmes luxurieuses : « La ville entière est un non-lieu. Toute l’Europe s’y bouscule. »

On y effleure les îles éoliennes, mais aussi Rome et Naples, Syracuse et Taormina.

« Dans la nuit palermitaine, des hommes jeunes s’amusent. Ils ont la trentaine. Font des plaisanteries de puceaux : « Testicules qualité Valencia, garantie cinq ans, expressément conçus pour travaux spéciaux, avec triple nickelage et pièces de rechange. » Souffler sur les cendres pour les faire apparaître. »

Gloire à la Sicile, où rien ne commence vraiment, c’est-à-dire ne s’achève – même si le Palazzo Lampedusa est détruit par les bombes des alliés le 5 avril 1943.

A quand le prochain concours de risotto ?

Les-derniers-guepards

Patrick Reumaux, Les derniers guépards, Gallimard, collection Haute Enfance, dirigée par Colline Faure-Poirée, 2021, 158 pages

Gallimard collection Haute Enfance

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