L’amandier de la poésie, et la torture, par Philippe Jaccottet, poète

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Monastère La Clarté Notre-Dame

« Note du 19 septembre 2012 : « Ne pas oublier, ce printemps, la petite cloche des vêpres à la Clarté Notre-Dame, d’une incroyable limpidité dans le grand paysage gris et silencieux – vraiment comme une espèce de parole, d’appel ou de rappel, un tintement pur, léger, fragile et pourtant net – dans la distance grise de l’air. »

La Clarté Notre-Dame, dernier recueil de textes en prose du poète suisse vaudois Philippe Jaccottet, mort à Grignan le 24 février 2021 à 95 ans, déploie sa sensibilité entre deux polarités : le son cristallin d’une cloche entendue lors d’une marche dans une campagne sans relief, et le cri des suppliciés dans la prison souterraine de Palmyre, en Syrie.

Que peut la poésie contre la torture ?

L’effort du poète n’est-il pas annulé par les larmes du martyrisé ?

Faut-il se reprocher le confort et le goût de la beauté quand, près de nous, les plus libres sont sacrifiés ?

Chanter la terre est-il une manière de se bander les yeux ?

Situé à Taulignan, dans le diocèse de Valence, le monastère de La Clarté Notre-Dame symbolise la prière et l’attention portée à la terre, au minuscule, au tout de la création, que le poète atteignant un âge où la mort devient peut-être moins une possibilité qu’un espoir considère avec humilité comme un lieu de passage, un seuil, un porche entre le visible et l’invisible.

Il faut lire La Clarté Notre-Dame lentement, accompagner dans le rythme du souffle intérieur apaisé ses reprises et variations, entendre résonner les derniers mots d’un grand poète.

Le silence est chargé de vibrations, l’absence est une énergétique.

Comme à Venise, s’orienter au son des cloches, tout en sachant que le labyrinthe de pierres gagnera sur l’ouïe.

Se souvenir, au soir de la vie, d’un séjour à Soglio, près de Sils-Maria, de la « beauté presque surnaturelle » de la chaîne des montagnes blanches appelées Diavolezza,  

Se souvenir de Rilke, et des vers de Hölderlin : « Enigme, ce qui sourd pur » / « Tout proche / Et difficile à saisir, le Dieu »

Se souvenir du temple grec de Ségeste, en Sicile, colosse ouvert aux quatre vents.

La poésie est un recueil de signes ténus, reflets du corps troué du Christ.

Un tintement, une idée de la joie malgré tout.

« Ainsi, ma vie, si près de s’achever, se découvrirait-elle enfin comme une apparence de sens, aussi fragile mais aussi tenace que tous ces signes dont j’aurais été alors le cueilleur, le « recueilleur », et le trop maladroit interprète ? »

Et, ceci, qui est très beau, écrit dans la pudeur et la précaution des parenthèses : « (Le chant aura été chanté tout de même, et rien ne pourra faire qu’il ne l’ait pas été, risqué à voix basse ou même quelquefois, rarement certes, clamé à pleine gorge comme une explosion de soleil sous les voûtes de pierre.) »

Philippe Jaccottet a traversé l’impensable. Dans ses bagages, plus de cinquante livres.

La-Clarte-Notre-Dame

Philippe Jaccottet, La Clarté Notre-Dame, Gallimard, 2021, 48 pages

Philippe Jaccottet – site Gallimard

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Se procurer La Clarté Notre-Dame

Un commentaire Ajoutez le vôtre

  1. irene tetaz dit :

    Oui, ce livre est vraiment fort.. Quel magnifique homme.. Sourire

    J’aime

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