Esprit de Magritte, es-tu là ? par Rémi Noël, photographe éditeur

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© Rémi Noël

Passionné d’images, notamment vernaculaires, le photographe Rémi Noël a créé Poetry Wanted, maison d’édition comprenant deux collections très réussies, « Qui a vu ? », ensemble de livres cartonnés destinés aux enfants à la façon d’un « cherche et trouve » photographique, et « This is not a map », cartes routières sans plan composées uniquement de photographies prises par des photographes de renom.

Exposé actuellement à la galerie Thierry Bigaignon (Paris), Rémi Noël est un artiste multiple, généreux, enthousiaste.

Qui ne le connaît pas découvrira dans l’entretien qui suit l’originalité de son travail.

Esprit de Magritte, es-tu là ?

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collection « Qui a vu ? »

Comment est née l’idée de la collection « Qui a vu ? » dédiée aux enfants ? Par quel volume ? Pourriez-vous la présenter ? Comment est-elle reçue ? 

J’ai toujours été fasciné par l’esthétisme des images d’amateurs, notamment les snapshots familiaux. Parce qu’il se dégage de ces clichés mal cadrés et mal composés la vie même. Très loin des images aseptisées que je suis amené à faire produire dans l’exercice de mon métier de créatif publicitaire. J’en ai toujours collecté au fil de l’eau, sans idée précise, mais les choses se sont accélérées avec la création de ma petite maison d’édition, Poetry Wanted, dédiée à la photographie. Et il m’arrive maintenant d’en acheter des lots entiers. Que je mets des mois à trier… Pour la collection « Qui a vu ? » l’idée m’est venu en remarquant dans certaines images des détails qui échappaient au premier regard. J’ai donc imaginé des « cherche et trouve » photo à destination des enfants. Mais qui, et c’est une bonne surprise, plaisent aussi aux plus grands… La collection a débuté par trois volumes (Qui a vu un oiseau ? Qui a vu la Coccinelle ? Qui a vu un chapeau ?) puis l’année suivante deux autres. Après une petite pose, j’en prépare de nouveaux qui devraient sortir cette année.

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collection « Qui a vu ? »

D’où proviennent plus précisément les images de ces volumes cartonnés, drôles et quelque peu vintage ? Êtes-vous collectionneur ? Est-une façon de dynamiser vos archives ?

Les images qui composent cette collection à destination des enfants sont des images « perdues », des diapositives des années 50/60/70 dont les familles se sont débarrassées au gré de déménagements et que j’achète sur des sites de vente en ligne. Il y a naturellement beaucoup de déchet, mais certaines images sont trop exceptionnelles pour rester au fond d’une boite ou disparaître à jamais…

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collection « Qui a vu ? »

Que serait selon vous une éducation au regard réussie ?

Pour être honnête, je n’ai pas produit cette collection pour éduquer le regard des enfants, mais d’abord pour mon propre plaisir. Mais je remarque que ces images exercent une grande fascination sur eux et doivent d’une certaine manière éduquer leur regard aux images. D’ailleurs, les livres photo à destination des petits sont extrêmement rares face à la toute-puissance de l’illustration. C’est dommage, même si j’aime beaucoup l’illustration par ailleurs.

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Que sont les éditions Poetry Wanted, qui publient également de formidables livres de photographie sous forme de fausses cartes routières, comprenant déjà seize titres, signés par des photographes tels que Bernard Plossu, François Fontaine, Jean-Christophe Béchet, Hervé Szydlowski ou vous-même ?

Oui, je suis moi-même photographe et, après avoir publié quelques livres « classiques », j’ai eu envie de me lancer dans une aventure éditoriale. Pour utiliser davantage les cartes routières que le GPS dans mes voyages photo annuels aux États-Unis, j’ai eu l’idée d’éditer des petits livres photo en m’inspirant de ce support papier original. Pour voir à quoi ça pourrait ressembler, j’ai commencé par mes images avec la carte du « Texas ». Une trentaine d’images et zéro cartographie. J’ai même commencé le petit texte d’introduction par « Voici sans doute la carte du Texas la moins précise au monde… ». Et puis j’ai embarqué d’autres photographes dans l’aventure ! Ronan Guillou, Jean-Christophe Béchet, Cédric Delsaux, Bernard Plossu,Vincent Delerm… En tout, plus d’une dizaine de grands photographes qui sont devenus des amis.

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Comment avez-vous pensé votre Texas, premier volume, vous le mentionniez, de cette collection intitulée de façon magrittienne « This is not a map » ?

Le nom de la collection est très magrittien en effet. J’ai au passage une grande admiration pour l’œuvre de Magritte. « This is not a map » parce que ce sont des cartes, mais qu’en même temps elles ne remplissent pas du tout le rôle que l’on attend habituellement d’une carte… « This is not a map » m’a semblé un bon titre.

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Comment travaillez-vous avec les photographes ? Que leur demandez-vous ? Leur passez-vous parfois commande ?

Je fonctionne comme dans tous les domaines au coup de cœur. J’ai eu le premier pour le travail de Ronan Guillou dont j’avais vu quelques images incroyables de Baltimore. Puis Ronan avait un projet à Las Vegas, alors on a oublié Baltimore et produit ensemble sa carte de Vegas. Je n’ai pas les moyens de passer commande à des photographes pour des destinations en particulier, alors on fonctionne généralement sur une série existante. Le seul critère est l’intuition qu’un ensemble d’images fera une carte intéressante et qui mérite d’exister.

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Quelle est la carte que vous préférez ? Pourquoi ?

Je les aime franchement toutes. Car chacune il me semble a sa personnalité. D’ailleurs l’idée est vraiment de montrer un lieu de la manière la plus personnelle et singulière possible. Et je crois que chaque carte de la collection remplit cette mission.

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© Rémi Noël

Voyagez-vous toujours annuellement aux Etats-Unis ? Pourquoi ce pays vous fascine-t-il ?

J’ai une fascination pour les États-Unis qui remonte au moins à l’adolescence. Ou peut-être même avant car j’ai habité à New York un an quand j’en avais cinq. Et je fais en effet un voyage chaque année dans l’Ouest américain. J’y pars tout seul pour une quinzaine de jours. Je trouve là-bas le décor idéal pour mes mises en scène.

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© Rémi Noël

Votre exposition actuelle à la galerie Thierry Bigaignon s’intitule Dear America. Comment avez-vous pensé cette exposition de vingt-sept photographies argentiques prises entre 1994 et 2019 ?

J’ai laissé Thierry faire sa sélection. Et comme il a un très bon œil je suis très heureux de l’accrochage. C’est compliqué pour moi de choisir parmi mes images car au-delà du résultat photographique je suis forcément influencé par le contexte de leur prise de vue. Et, comme mes enfants, je les aime toutes !

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© Rémi Noël

Vos images sont souvent minutieusement mises en scène. Cherchez-vous une sorte d’efficacité visuelle doublée de mystère ou d’esprit surréaliste ?

C’est vrai que beaucoup de mes images sont mises en scène et la majorité d’entre elles même préméditées. En gros, je pense toute l’année à mes futures images (je fais même des petits croquis préparatoires) et une fois sur place j’essaie de trouver le meilleur endroit et les meilleures conditions pour les réaliser.

Quant à l’efficacité de mes images, c’est vous qui employez le terme, elle est probablement le fruit de ma culture publicitaire, une sorte de déformation professionnelle, car c’est un domaine où l’on se doit bien sûr d’être univoque, d’aller à l’essentiel. Par contre, je n’ai jamais été en phase avec l’esthétique des images publicitaires que je trouve aseptisées alors je contrebalance la mise en scène assumée de mes images avec une approche formelle très simple, voire « amateur », d’où mon choix du 35mm, du noir et blanc et du grain de l’argentique.

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© Rémi Noël

Y a-t-il un esprit belge dans l’ensemble de vos travaux ? Quels contours lui donneriez-vous ?

Belge je ne sais pas. Plutôt celui d’un français attiré par l’esprit anglo-saxon, car mes principales sources d’inspiration le sont : Kerouac, Hopper, Robert Frank (Suisse mais à jamais associé aux Américains…), Lee Friedlander, Stephen Shore, Charles Schulz (le papa de Snoopy), Raymond Chandler, Chaplin… j’en oublie évidemment.

Etiez-vous un enfant avide d’images ?

Non, pas spécialement. Mais mes parents avaient dans leur bibliothèque des albums de Sempé qui m’a sûrement contaminé…

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Autoportrait © Rémi Noël

Quels sont vos derniers volumes en préparation ? Ne pensez-vous pas à une nouvelle collection ?

Je continue à collecter des images pour de nouveaux albums de la collection « Qui a vu ? » et je prépare en effet une nouvelle collection qui réunira des images et des textes, car même si j’aime l’image, les mots ont leur importance.

Comment diffusez-vous vos éditions ? Votre maison est-elle viable ?

Je suis diffusé par Pollen, qui diffuse de nombreux éditeurs indépendants, et j’ai la chance de faire partie de France PhotoBook, un collectif qui défend le livre photo. Je ne tire aucun bénéfice de mes activités d’édition, mais elles me permettent de faire de belles rencontres.

Propos recueillis par Fabien Ribery

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Qui a vu un oiseau ? (2017), Qui a vu un chapeau ? (2017), Qui a vu la Coccinelle ? (2017), Qui a vu un dinosaure ? (2018), Qui a vu la différence ? (2018), graphisme Olivier Verdon, conception Rémi Noël, retouches Hervé Szydlowski, éditions Poetry Wanted, 26 pages

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Collection Qui a vu ?

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Texas, Rémi Noël, éditions Poetry Wanted, collection « This is not a map »

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Poetry Wanted

Dear America, exposition de Rémi Noël, galerie Thierry Bigaignon (Paris), du 18 février au 3 avril 2021

Rémi Noël – site

Galerie Thierry Bigaignon

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