Brother Foucault, par Philippe Artières, historien mythographe

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©Philippe Artières

A force d’admirer, à force d’étudier, à force de s’approcher de l’objet de sa recherche, devient-on l’autre ?

De façon magistrale, l’historien des idées Philippe Artières pose la question en une vingtaine de photographies, publiées à Cherbourg par le centre d’art Le Point du Jour, à propos de Michel Foucault, qu’il n’a cessé de lire et de commenter.

Ayant cherché à rencontrer un sosie du philosophe français, l’auteur de Le Dossier sauvage (Verticales, 2019 – présenté dans L’Intervalle) l’a découvert en lui-même, les similitudes physiques et de visage entre l’un et l’autre étant étonnantes, voire sidérantes, et surtout très drôles, pouvant faire penser aux jeux identitaires de Noël Herpe.

Questionnant la notion d’archive, la distinction entre le vrai et le faux, la logique du mentir-vrai, et notre désir archaïque d’identification au totem de notre groupe (l’intellectuel phare, et chauve), Philippe Artières a construit avec beaucoup d’humour et de pertinence un jeu d’images où le maître en kimono ne cesse de lire, ses amis (Louis Althusser), ses confrères (Patrick Boucheron), des écrivains visionnaires (Frank Herbert, Michel Houellebecq), le journal (Libération), et même sa fiche Wikipédia, son badge de l’INA, la biographie que David Macey lui a consacrée, ou ses propres livres.

Intitulé Les Deux Corps du philosophe – on se souvient ici du fameux livre d’Ernst Kantorowicz sur la théologie politique au Moyen Âge, Les Deux corps du roi, publié en 1957 -, est un ouvrage conçu à l’époque de la Grande Pandémie, soit d’un nouveau Grand Renfermement, et d’une nouvelle asphyxie ayant conduit chacun à inventer des voies d’émancipation inédites.

On peut ainsi supposer que le logis de l’auteur fut récemment l’objet d’une vaste entreprise de mystification tendrement ironique, et savamment mise au point.

Se présentant comme un cahier d’écolier pour apprendre à écrire (et lire), Les Deux Corps du philosophe pourrait être aussi un traité de zen, ou un manuel d’art martial pour les chevaliers errants d’aujourd’hui tirant avec l’arc de l’esprit.

Pierre Artières-Glissant est censé être l’auteur des photographies ici exposées, mais c’est un artefact, un simulacre, sorte de chimère composée des identités de Pierre Rivière (sur qui écrivit Foucault), de Philippe Artières, et du philosophe de la Relation, Edouard Glissant.

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©Philippe Artières

Et si Foucault-Artières lit encore en noir et blanc le vintage Principes politiques, philosophiques, sociaux & religieux de l’Ayatollah Khomeiny (on se rappelle sa défense de la Révolution iranienne), nul doute que le temps présent soit évoqué par nombre de détails.

Le carnavalesque est une puissance de révélation, comme le masque peut l’être de la vérité de qui le porte.

Que dirait aujourd’hui le penseur du biopouvoir, mort du sida en 1984, du contrôle sanitaire, de la logique du confinement, de la politique mondiale de contraintes exercées sur les corps ?

De façon habile, et amusée, Les Deux corps du philosophe lève de redoutables interrogations.

Comme l’écrit en postface l’historien de l’art Bertrand Tillier, « parce qu’on a envie d’y croire, on est finalement porté à élaborer nos propres hypothèses – et si Foucault était, en réalité, le sosie d’Artières ? »

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Pierre Artières-Glissant, Les Deux corps du philosophe, texte Philippe Artières, postface de Bertrand Tillier, direction éditoriale David Barriet, David Benassayag et Béatrice Didier, conception graphique Jérôme Saint-Loubert Bié, éditions Le Point du Jour, 2021, 48 pages, 20 photographies

Le Point du Jour – site

Le samedi 12 juin aura lieu au centre d’art Le Point du Jour une rencontre avec Philippe Artières

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Se procurer Les Deux Corps du philosophe

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