« L’argent est fait pour être dépensé, et même dilapidé. » (Dieter Schidor à propos de RWF) – comme la vie ?
Premier titre chez Louison éditions d’une collection dédiée aux artistes dissidents, subversifs, pionniers, Fassbinder, clap de fin, de Guillaume de Sardes est un livre vif, rapide, aussi fort que la mort qu’a constamment côtoyée l’ogre germanique.
Des quantités astronomiques de drogue, des relations sadiques avec ses proches, un génie de l’écoute doublé d’une cruauté spéciale, une vie brûlée faisant songer à bien des égards à celle de son double franco-marocain, Jean Genet, que le cinéaste adapta en mettant en scène en 1982, quelques mois avant sa mort, l’impossible et somptueux, Querelle de Brest.
Bourré d’anecdotes, faisant entendre la voix de celui que l’auteur de L’Eden la nuit (Gallimard, L’Infini, 2017) aime appeler RWF, comme on parle d’une puissante cylindrée allemande, cet essai biographique très informé se lit d’une traite, fluidement dans sa discontinuité même.
Qui était donc Fassbinder, alcoolique, drogué et débauché ?
Qui était cet être suprêmement moral dans son immoralisme ?
Un saint ivre d’alcool et de colère ? Un timide maladif masquant sa honte par la sauvagerie des pulsions ?
Fassbinder était un homme à la présence impressionnante, travailleur infatigable – de plus en plus de films alors qu’approche la Camarde au visage de cocaïne – aimant l’argent liquide et la possibilité de le dépenser sans frein, un somnambule habité d’obsessions majeures, un réalisateur à la rapidité sidérante parlant le moins possible avec ses acteurs et partant le week-end à New York pour y rencontrer des gitons ou s’enfermer dans des backrooms, un révolutionnaire anticapitaliste.
Fassbinder, c’est la démesure, la dépense bataillienne, la haine des bourgeois, et la conviction que les pires saloperies sont exécutées par des hommes ou femmes au visage d’ange.
Le commerce des corps le fascine, comme les êtres de la marge, ou les méprisés – les immigrés noirs et maghrébins.
Le désir est une bombe antisociale, il faut en user.
On le décrit comme un tyran, un sadique froid et brutal.
Oui, mais il faut écouter aussi l’acteur Dieter Schidor dont les propos ont été retrouvés par Guillaume de Sardes : « Il est facile de parler des côtés monstrueux de Rainer, toujours présents, et il l’est beaucoup moins d’expliquer ce qui vous poussait à l’aimer malgré tout et à rechercher sa compagnie. (…) Il pouvait être si tendre, si gentil, si compréhensif que vous aviez le sentiment que jamais personne, de toute votre existence, ne vous avait compris comme lui. (…) et vous aviez l’impression que ce que vous lui racontiez avait pour lui une importance capitale. »
Mort à 37 ans, Fassbinder reste une énigme, un jumeau mystique de Jean Genet dont il interpréta l’univers plus qu’il ne l’adapta pour Querelle, « premier film ouvertement gay destiné au grand public », mettant en scène en un style jouant à l’extrême de l’artificialité construite en studio la triade flic, assassin, saint putain.
Quelques titres : Le Droit du plus fort (1975), Le Mariage de Maria Braun (1979), Lili Marleen (1981), Le Secret de Veronika Voss (1982), Lola une femme allemande (1981), Tous les autres s’appellent Ali (1974), L’Année des treize lunes (1978), L’Amour est plus froid que la mort (1969), La Troisième génération (1979), Les larmes amères de Petra von Kant (1972).
On reprend tout, le XXème siècle a existé.
Guillaume de Sardes, Fassbinder, clap de fin, Louison éditions, 2021, 96 pages
Louison éditions – Guillaume de Sardes