© Marguerite Bornhauser
Dans la nouvelle collection photographique des Editions de La Martinière, Percevoir, dédiée aux nouveaux talents, Marguerite Bornhauser signe une nouvelle fois un livre saisissant, post-pop, sévillan, et comme toujours éminemment sensualiste.
Après Plastic Colors (Les Editions du Lic, 2017), 8 (Poursuite Editions, 2018) et Red Harvest (Poursuite Editions, 2019), la photographe diplômée de l’Ecole nationale supérieure d’Arles en 2015 puise dans l’ensemble de ses séries – Pastic Colors, Moisson rouge, Black is Burned, Le Bruit des cactus, 8… – pour construire un ouvrage se présentant comme un hymne à la couleur et aux meilleurs des mondes possibles.
Il doit y avoir, si l’on place côte à côte leurs images enchantées, entre Sao Paulo, où vit le photographe et plasticien Alexandre Furcolin, et Paris, lieu de travail et de résidence de Marguerite Bornhauser, quelques correspondances majeures.
Des végétaux formant résille, des chemins d’ombres, des lumières amoureuses.
Des flashes, des couleurs vives, du soleil.
Des bleus curaçao, de belles nudités, des rouges de sacrifice.
Marguerite Bornhauser construit un territoire de plastiques et de chairs, de carrosseries jaunes et de toitures vertes, laissant son regard être saisi par l’irruption d’un aplat de couleur, métamorphosant soudain le quotidien en une vaste scène filmée en Technicolor.
On pénètre ainsi dans son univers par des chemins polychromes, un archipel féérique de couleurs pulvérisées comme en Inde où l’on célèbre Holi, la fête hindoue de l’équinoxe du printemps, en s’aspergeant mutuellement de pigments ou d’eau teintée.
Les photographies de Marguerite Bornhauser sont des espaces où mieux vivre, d’autant plus quand l’air se raréfie – série Journal de confinement, 2020.
© Marguerite Bornhauser
Il y a quelque chose ici d’une hallucination continue, d’un rêve sous psychotrope aiguisant formes et matières, présences humaines et lumières.
L’artiste photographie généralement au plus près de ses sujets, d’un dos, d’un visage, d’une vitre brisée.
Des ciels rouges comme dans le Middle West de Terence Malick.
Sensible à la transcendance des couleurs, Marguerite Bornhauser cherche ces instants où la réalité est une enluminure échappée d’un codex médiéval, et pourtant ultracontemporain.
Du formica, des drapés rouges, un cocktail dans un bar.
Flavien Berger, musicien, chanteur, auteur et compositeur, a écrit pour elle un poème intitulé Etoile rétine.
On peut y lire ceci : « Ses sillons tactiles étaient noircis d’une infinité de hiéroglyphes magnétiques. Elle caressait la peau des parchemins virtuels, braille charnel des images sarcophages. »
Oui, nous serions bien avisés de nous rappeler quelles étaient les couleurs des dieux dans l’Egypte antique.
Marguerite Bornhauser, Percevoir, textes de Flavien Berger et Simon Baker, responsable éditoriale Aude Mantoux, édition Anne-Laure Cognet, Editions de La Martinière, 2021, 128 pages
© Thomas Mailaender
La collection Percevoir comprend aussi deux autres titres, non moins passionnants, et intrigants, de Thomas Mailaender et du duo Elsa & Johanna.
Thomas Mailaender, dont RVB Books éditent généralement les livres d’artiste, est un amateur ardent de photographies abandonnées, collectant sans cesse des images vernaculaires sur Internet, par nature vouées à disparaître.
Intervenant sur ses pièces à la façon d’un artmaker (Alain Jouffroy), l’artiste passé par la Villa Arçon à Nice invente une œuvre de détournement – agrandissement, montage, incrustation de matière, dessin sur tirage, dialogues avec d’autres images… – à bien des égards hilarante.
L’iconoclaste est un iconodule, inspiré par l’esprit du magazine de François Cavanna et du professeur Choron, Hara Kiri.
Beaucoup de sexe potache, d’inconvenances et de pitreries de toutes sortes.
© Thomas Mailaender
Les grands de ce monde, notamment Ronald Reagan, deviennent les personnages d’une comédie burlesque aux dimensions de la planète.
Un chien porte des lunettes (et pourquoi pas ?), une belle fait de la moto, cul à l’air, alors que la police s’apprête à l’arrêter, la pornographie est le dernier refuge du libre n’importe quoi, et mamie fait encore le grand écart dans la rue.
Je ne sais pas si Franck Gérard est ami avec Thomas Mailaender. Si ce n’est pas le cas, il faudrait d’urgence les présenter.
Dans un texte intitulé Coprophage, le rédacteur en chef culture de Vanity Fair, Philippe Azoury, déclare : « Désormais, les ordinateurs, les applications se souviennent pour nous. Nous sommes les premiers humains qui n’ont plus un devoir de mémoire. Les souvenirs, nous les avons donnés à stocker à d’autres, qui les gèrent à notre place. »
Faudrait-il comprendre alors que Thomas Mailaender, ce sale gosse se baignant en continu dans le ruisseau d’Instagram, est le meilleur gestionnaire qui soit ? Confiez-lui vos albums de famille, cédez-lui les portraits de vos filles, il en fera assurément bon usage.
© Elsa & Johanna
Mais Percevoir, c’est aussi le duo Elsa Parra et Johanna Benaïnous, deux artistes s’étant rencontrés à la School of Visual Arts de New York.
Toutes deux sont plasticiennes, réalisatrices, ainsi que modèles et photographes mutuelles, interrogeant sans cesse les contours et limites du couple, ainsi que les assignations sociales dans un territoire donné.
Leurs mises en scène troublantes sont des questionnements identitaires.
A quel moment peut-on être vraiment soi ? Jusqu’où peut-on être l’autre ? Est-on justement soi en étant l’autre ?
La double œuvre d’Elsa & Johanna est un jeu très subtil sur le pouvoir d’attraction de la fiction comme refuge intime.
Thomas Mailaender, Percevoir, texte de Philippe Azoury, textes de Flavien Berger et Simon Baker, responsable éditoriale Aude Mantoux, édition Anne-Laure Cognet, Editions de La Martinière, 2021, 128 pages
Elsa & Johanna, Percevoir, textes Fanny Taillandier et Simon Baker, responsable éditoriale Aude Mantoux, édition Anne-Laure Cognet, Editions de La Martinière, 2021, 128 pages
© Elsa & Johanna
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