©Bernard Plossu
On raconte qu’Antonin Artaud visitant au pas de course une exposition Vincent Van Gogh à l’Orangerie de Paris vit tout avec une extrême acuité.
Malgré la rapidité de son passage, les fulgurances du peintre étaient parvenues à saisir l’esprit fulgurant de l’écrivain.
Je vois ainsi Bernard Plossu dans ses voyages multiples en Belgique, passant d’un train à l’autre, d’une voiture à l’autre, d’un autobus à l’autre.
©Bernard Plossu
Festina lente disaient les anciens, « hâte-toi lentement », qui est par excellence la formule de l’art.
Le regard de Bernard Plossu est cinétique, si ce n’est cinématographique.
Chez lui tout est flux, si ce n’est également, par un phénomène faisant de la vitesse une alliée de la stase, fixe.
Le mouvant est persistant, le persistant est mouvant.
©Bernard Plossu
Inaugurant son livre La Belgique l’air de rien (éditions Yellow Now) par une photographie du tromboniste et chanteur américain vivant à Liège Garrett List, décédé en décembre 2019, le photographe indique une direction : son ouvrage de trois cents pages sera un long chorus de jazz, free si possible.
Tel est Plossu, fidèle aux vivants (Xavier Cannone, Daniel Michiels, Guy Jungblut, Boris Lehman, Marc Trivier, Michel Castermans) comme aux morts, montrant également, en regard du jazzman, son ami Jean-Louis Godefroid, fondateur de Contretype à Bruxelles, et photographe lui-même.
On est sur les rives de la mer du Nord et dans la campagne profonde, on se déplace de Charleroi à Anvers, et l’on parcourt Bruxelles en tous sens.
©Bernard Plossu
La Belgique de globe-trotteur français est à la fois physique et mentale, géographique et imaginaire, réaliste et surréaliste.
S’il photographie en noir et blanc au moyen format argentique, Bernard Plossu est aussi un maître de la chromie (partie 1).
« Dans la quasi-totalité des tirages Fresson de Plossu, remarque avec justesse son préfacier, Bernard Marcelis, il n’y a personne, même dans les vues urbaines. Le sujet principal est la couleur, et les personnages secondaires sont les logos, les affiches ou les enseignes. »
©Bernard Plossu
Les inscriptions sur les murs et les affiches sont drôles, cocasses (« Et Pourquoi pas ? », « Nuit de Chine »), inattendues.
Oostende est une architecture vide, les oyats se balancent dans le vent comme dans un film de Kenji Mizoguchi, la mer peut être monstrueuse.
Il y a du Paul Delvaux ici, on connaît pire référence.
©Bernard Plossu
Arno boit probablement un dernier verre au bar de L’archiduc, mais la façade bleue est si belle qu’elle en métaphorise les rêves de tendresse.
Des tramways, des voitures, des lignes électriques, des pavés, des axes autoroutiers, des péniches, des néons, des flaques d’eau, des toitures, des nuages noirs, des immeubles, des usines, des ponts, des pylônes, des maisons ouvrières, et soudain l’apparition de la sainte Vierge.
Tout est important, rien n’est banal, tout peut faire épiphanie pour qui sait en recevoir l’éclat comme une épée de vérité.
©Bernard Plossu
Tiens, voilà une vache, puis une sente verte menant à quelque village désert, mais l’intermède est de courte durée, la ville happe, ses tasses de café, ses transports en commun, ses femmes furtives.
En noir et blanc, comme en nuances de gris, la Belgique n’est pas la même, plus industrieuse, plus inquiète, plus mélancolique.
Magritte a abandonné son chapeau près de la Bibliothèque royale de Bruxelles, Audrey Hepburn est née ici, les béguinages sont des havres de paix.
©Bernard Plossu
Une jeune fille court, un homme joue de l’accordéon, le grand théâtre de la vie est fascinant, dans ses rites, ses idées minuscules ou grandioses, ses rêves modestes ou de gloire.
Bernard Plossu ne capture pas la Belgique, mais la laisse doucement imprimer sa pellicule, la fluidité est une politesse, et la façon dont nous nous vêtons, nous protégeons ou marchons une déclaration d’existence singulière.
Nicolas Bouvier, son ami, n’aurait sûrement pas démenti cela.
Bernard Plossu, La Belgique l’air de rien / België terloops, texte / tekst Bernard Marcelis, Yellow Now, 2021, 304 pages
©Bernard Plossu
Exposition Bernard Plossu au Musée de la Photographie de Charleroi (Belgique), du 25 septembre 2021 au 7 janvier 2022