©Teo Becher
Ce livre est un névé, il se pourrait qu’il fonde avant la fin de sa lecture, ou que ses images, parfois proches de l’abstraction, ne se transfèrent très intimement dans votre paysage mental.
Consacré aux vestiges de l’épopée de l’aluminium dans la vallée de la Maurienne, dans les Alpes françaises, le premier ouvrage de Teo Becher intitulé Charbon blanc – prix Maison Blanche 2020 – est une méditation subtile sur la façon dont l’humain, entraîné dans sa course au progrès, rend quasiment invivables des espaces naturels jusqu’alors exploités sans brutalité massive.
Bien entendu, la réflexion n’est pas didactique, plutôt poétique au sens d’un regard engagé agissant et d’une façon de parier sur le vierge là où les signes de la corruption des lieux sont manifestes.
©Teo Becher
Longée par une autoroute, et bientôt par le si controversé TGV Lyon-Turin, la vallée de la Maurienne aurait bien des choses à dire au Parlement des Vivants de Marielle Macé s’il était possible de l’entendre s’exprimer à flots ouverts.
Entre 2016 et 2019, Teo Becher a arpenté au rythme de la marche ce territoire ambigu, observant la façon dont la nature composait avec l’humain et l’humain avec la nature.
De tradition documentaire, son regard est aussi nourri de recherches expérimentales sur la substance même de l’image, son altération, sa persistance, son essence fantomatique, l’artiste ayant quelquefois utilisé des films photographiques enterrés, entre quelques semaines et deux ans.
©Teo Becher
Imprimées sur des pages en partie non massicotées, ces images argentiques dégradées n’en relèvent pas moins d’une forme de sublime quant aux continents à la dérive dont elles semblent garder le secret.
Il y a le visible et l’invisible, ce qui s’offre à la vue et ce qui se dérobe, le donné et le caché s’inscrivant dans un processus dialectique où l’un ne va pas sans l’autre, où la forme ne se conçoit pas sans les forces qui la contraignent à se déplacer intimement.
Il pourrait s’agir de quelque village de montagne préservé des assauts les plus dégradants de la modernité, mais, non, les signes sont là, prouvant que le fantasme d’une nature inentamée est une illusion, tant les actes de notre hominisation n’ont cessé d’intervenir là où reposait a priori l’indemne.
©Teo Becher
Il y a des orthèses (voir Guillaume Bonnel chez ARP2 Publishing) et des roches merveilleuses plantées sur les sommets depuis une éternité.
En bas, le rousseauiste naïf déchante : ce sont des infrastructures industrielles peu propices à la rêverie douce, des pylônes électriques menaçants, des pluies acides peut-être.
Charbon blanc n’est cependant pas un livre dualiste, parce que tout est processus, flux, transformation, et que les ravages d’aujourd’hui conduiront peut-être aux beautés de demain.
©Teo Becher
La place de la petite race humaine dans tout cela ? Négligeable, terrifiante, et émouvante dans son oubli de la finitude.
L’aluminium a passé, là où l’on découvre désormais de l’uranium et de l’amiante en quantité supérieure aux niveaux naturels – Teo Becher relayant notamment dans son texte conclusif des informations inquiétant d’autant plus le mouvement No TAV.
Rendez-vous donc dans quelques années, aux alentours de 2030, pour un nouveau cahier de recherches.
Teo Becher, Charbon blanc, texte de Teo Becher, édition Lucia Peluffo & Fabienne Pavia, graphisme Lucia Peluffo, Le bec en l’air, 2021 – Prix Maison Blanche 2020
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