Déserter, entrer au désert, par Louis Grall, écrivain

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C’est un livre où chaque mot compte, et où les adjectifs antéposés inventent un monde où les détails scintillent comme dans une enluminure médiévale.

L’histoire d’un homme venu de l’Est ayant trouvé refuge dans l’abbaye de Landévennec (Finistère), et y ayant vécu caché pendant trente ans.

L’aventure d’un homme et l’aventure d’une langue, portées par un narrateur choisi par les moines pour témoigner d’un destin exceptionnel à désormais transmettre à tous.

« Pour deux semaines, je suis devenu apprenti cénobite. Pour écrire une vie, comme le faisaient autrefois les moines chroniqueurs. »

Ce livre excellent, publié avec élégance par Pierre Fourniaud à La Manufacture de livres, s’intitulé Le nageur d’Aral.

Louis Grall, son auteur, poète, conteur, novelliste, maniant à la fois le breton et le français, vit du côté de Brest, mais son territoire le plus intime est celui de la littérature, ermitage abrupt ouvert au vent du large.

Il faut comme Lancelot franchir un pont, marcher en priant, entendre la parole résonner dans la nudité des murs d’une cellule, un récit peut alors commencer.

Anton le nageur était un militaire, commando marin de l’école de Leningrad envoyé en France pour accomplir quelque mission secrète et périlleuse dans le contexte austère de la Guerre froide.

« Ceux qui l’aperçurent ce matin de novembre furent le renard aux yeux d’or et, dans l’ombre éternelle du pin, oscillante mâture fichée sur la vague du ciel, l’impassible buse cachant la faucille de son bec dans la javelle sèche de ses plumes. »

Très attentif à la géographie, aux éléments naturels, à la blanche colère de la mer et aux espaces de solitude, Louis Grall est habitant du château imaginaire d’Argol, grand lecteur probable de Julien Gracq.

Il y a le mal métaphysique, le silence des orants, la paix de Dieu, et le choix extraordinaire d’un combattant d’élite ayant choisi de déserter, son pays, la guerre, la frérocité, afin de redevenir vagabond.

« Le voici. Il rampe pour échapper aux regards. Il est immensément fatigué. C’est ainsi qu’il aborde, sali par la vase et par son péché, mais soumis à une inflexible volonté, comme l’avait fait ici saint Guénolé le fondateur, quinze cents ans auparavant. Douloureusement il se défait de ses nageoires, et très lentement se redresse. Il monte, courbé, dans le hallier, cache ses palmes sous une grosse pierre. Puis il se couvre de feuilles sèches et s’endort. »

Dans l’eau baptismale de la mer d’Iroise, à l’embouchure de l’Aulne, un noir guerrier aura décidé de se séparer de lui-même pour se réformer dans l’antre d’un asile acceptant de se plier à la règle de Saint Benoît.

Il y a du mythe d’origine, des sommeils de rédemption, et une façon de se souvenir des livres de l’écrivain belge Henri Bauchau.

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« Quand il atteint l’océan au bord de la falaise, le chœur gothique des arbres s’est éteint, et le vent se met à chanter comme un simple soudard, dans la coquille de ses oreilles. »

C’est Anton sur la route et dans le chant du conteur, comme dans les yeux étranges des bêtes sauvages.

Quelqu’un frappe à la porte, l’hospitalité chrétienne est une loi très ancienne renvoyant le monde séculier à son ignominie.

« Alors la horde noire accepta lentement de s’apaiser sous la main rude du matin. »

Il faut déserter, entrer au désert, nager autrement, plus loin, dans l’inconnu.

Le père abbé : « Parfois, pour accueillir l’Autre, il peut s’avérer nécessaire de transgresser la loi de la raison et de faire appel à celle du cœur. »

On pourra concevoir ainsi Le nageur d’Aral, comme un asile, en méditant la pensée rude, et peu charitable, de Charles Baudelaire :  » il n’existe qe trois êtres respectables : le prêtre, le guerrier, le poète. Savoir, tuer, créer. Les autres hommes sont taillables et corvéables, faits pour l’écurie, c’est-à-dire pour exercer ce qu’on appelle des professions. »

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Louis Grall, Le nageur d’Aral, direction éditoriale et coordination Pierre Fourniaud, La Manufacture de livres, 2020, 128 pages

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La Manufacture de livres

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3 commentaires Ajoutez le vôtre

  1. alainlecomte dit :

    article très émouvant, on est prêt à lire ce livre!

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  2. Jacques Premel-Cabic dit :

    J’ai lu le Nageur d’Aral de Louis Grall. Je viens de lire la recension de Monsieur Ribéry, elle est tout aussi somptueuse que le sublime roman évoqué. Je suis donc un lecteur heureux et doublement, en découvrant par le fait, une fenêtre qui va me permettre de nouvelles échappées au grand air dans un oasis poétique salvateur, où je vois déjà tournoyer sous un vent richement porteur, non pas au bord du Nil mais le long de la Penfeld, des ramées de palmes d’or.

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  3. Jacques Premel-Cabic dit :

    Oasis salvatrice au féminin afin que le vent soit plus porteur et mieux portant !
    mille excuses pour cette maladresse initiale.

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