©Yan Morvan
« Mais ne passez pas de l’autodéfense à l’autodestruction. Si nous sommes tous des créatures de Dieu, pourquoi faire la différence ? » (Kizo)
Yan Morvan n’est pas un adepte de la moraline, cette glu, cette taie, ce poison valant aujourd’hui certificat de bonne conduite.
Non, avec lui, ça cogne, ça fonce, ça ne se cache pas derrière son petit doigt.
©Yan Morvan
Dans son œuvre ample – très souvent présentée dans L’Intervalle -, il y a le livre Gangs Story, qui fut interdit lors de sa première publication.
On pourrait considérer cet opus comme une sorte de vaisseau amiral, escorté par les livres Les Blousons noirs (La Manufacture de livres, 2015) et Champs de bataille (Photosynthèse, 2015).
Photographe de guerre, Yan Morvan témoigne de l’histoire des gangs en France et de leurs antagonismes parfois très violents, entre phénomène skinhead venu du Royaume-Uni et culture hip-hop arrivée des Etats-Unis.
©Yan Morvan
Nous sommes dans les cités HLM de la France périphérique, dans les banlieues délaissées au temps de la fracture sociale mitterrando-chiraquienne et de l’abandon des quartiers populaires par l’Etat de droit.
L’arrivée de la drogue et de l’argent-roi dans les années 1990 ont fait du territoire du peuple des zones de trafics en tous genres et de relégation majeure.
Chômage, crise, débrouille, illégalité.
Le crack envahit les squats, le rap se développe, les parias ont la rage.
©Yan Morvan
Tu vis pour le gang, tu meurs pour le gang, que tu sois punk ou antifa, Dicky Boys ou Requins Vicieux.
Le 31 octobre 1999, Guillain Mengeli, cousin de Kizo, qui signe les textes du livre, est tué à l’âge de vingt ans d’une balle de 7,65 au quartier du Méridien à Grigny.
Gangs Story lui est dédié, ainsi qu’à tous les disparus des guerres fratricides menées par les misérables, dont les bourgeois des centres-villes n’ont que peu conscience.
Comme toujours, quand il n’y a personne ou pas grand-monde, Jan Morvan est là, parka grise, barbe mal taillée, anonyme avec les hors-la-loi de tous genres.
©Yan Morvan
Les rockers en Harley portent désormais casquettes ou rangers, mais les doigts d’honneur sont les mêmes.
Les bikers US ont troqué leur grosse cylindrée pour des bagnoles pourries, ou des carlingues défoncées à la pauvreté de l’immigration française.
Des bastons se préparent entre les enfants déclassés du rock’n’roll, les types à bombers portant des battes de baseball et les gamins hâbleurs zonant au pied des barres.
Gangs Story, c’est quarante ans de photographies en noir et blanc ou couleur d’une jeunesse rebelle, cheveux gominés, classieuse et violente, tatouée et sexy, raciste (les symboles nazis ne sont pas rares) et païenne, ivre et furibarde.
Le rap est le cri des cités, les peaux sont désormais moins blanches, Joey Starr fait une séance de graff dans le 18eme.
Yan Morvan photographie ces groupes et leaders naturels qui font danser les invisibles (les Ducky Boys, Dee Nasty, Doc Gyneco, les Kriminels sans reproche, Alliance Ethnik…).
©Yan Morvan
Il y a des bavures, des coups malencontreux, des contrôles au faciès, des armes à feu, une autodestruction programmée.
On a cru que Gangs Story faisait l’apologie de la violence quand il documente, au plus serré, une réalité qu’on préfère ne pas voir.
Certains en voudront toujours à Yan Morvan de préférer la rue et ses réalités les plus âpres aux abstractions confortables des forts en thème de la photographie.
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Dieu, qui vomit les tièdes, reconnaîtra les siens.
Yan Morvan, Gangs Story, récit de Kizo, direction éditoriale Pierre Fourniaud, editing, design et conception graphique Loïc Vincent, La manufacture de livres, 2022, 288 pages
Yan Morvan – La Manufacture de livres
©Yan Morvan