Flore-Aël Surun, série Les Quatre Directions ©Tendance Floue/ Éditions Textuel
« Pour eux, comme pour nous, tout ne tient qu’à un fil. » (Wajdi Mouawad)
S’avancer nu face au pouvoir.
Ne rien lui devoir, pas même sa férocité.
Ne rien craindre, si ce n’est de manquer le courage de la vulnérabilité.
Projet du collectif Tendance Floue, Fragiles – catalogue chez Textuel, expositions à Sète et Arles – est un récit polyphonique hanté par la disparition, du monde, des autres, de soi, mais aussi structuré intimement par la possibilité de croire encore, par-delà et avec la mélancolie, à la merveille d’être, aux beautés de l’existant.
Bertrand Meunier, série Refuge ©Tendance Floue/ Éditions Textuel
Se regarder.
Se transmettre par les yeux, par la peau, par l’air caressé du bout des cils, l’impossible, l’indicible, l’infini.
Qui est là ? Qui repose dans mon iris ? De qui ai-je la responsabilité lorsque s’ouvre le diaphragme ?
Qu’avez-vous faire de la part animale en vous ? Et du mystère des formes ? (Mat Jacob)
Que fait-on lorsque l’on perd son autonomie et que le grand âge nous contraint à quitter notre maison, notre appartement, nos repères, alors que, parallèlement, les ombres s’agrandissent ? (Pascal Aimar)
Ne restera-t-il que des photographies pour montrer à nos enfants les glaciers ?
« Nous ne sauverons pas les glaciers, leur fin est programmée. Malgré notre savoir, notre volonté, malgré l’admiration et le respect que leur beauté effrayante impose. Ils se rétractent depuis la fin du XIXe siècle, et les parties basses, exposées à la fonte, disparaissent sous la poussière grise des moraines. Sous le regard des scientifiques, un nouveau paysage voit le jour, géologique, inerte et immuable, sculpté par le passage de la glace », Grégoire Eloy)
Comment mener une vie bonne dans les conditions de l’invivable, et que l’on est un exilé subissant de toutes parts la violence ? (Ljubisa Danilovic et Jean-Christian Bourcart montrant un exode avec Exil blanc)
Yohanne Lamoulère, série L’Île ©Tendance Floue/ Éditions Textuel
Que ressentent et comprennent nos enfants du grand renfermement à venir, venu, revenu ? (travail superbe de Bertrand Meunier)
Les séries s’enchaînent, par nom de photographe, ponctuées par deux fois d’une mosaïque d’images des membres du collectif où, sans chercher à faire jouer aux devinettes et deviner qui est qui, les esthétiques dialoguent avec beaucoup de finesse et de grâce.
Que recèle la nuit, quelles énigmes, quels chemins de sens, quelle vie intense, inconnue aux assis du jour ? (Gilles Coulon dans le quartier de Guet Ndar à Saint-Louis du Sénégal)
Chasser les mauvais esprits et accueillir le cœur ouvert/purgé la nouvelle année (l’exemple des fêtes traditionnelles du nord de la Roumanie, par Philippe Lopparelli).
Se laisser guider par la lumière et la sagesse des chamanes et accepter le basculement intérieur (Flore-Aël Surun).
Frères humains, qu’avez-vous fait de l’eau, de la mer, du partage ? (Alain Willaume dérivant au bord de la mer Morte, privée des eaux du Jourdain)
Que reste-t-il de la souffrance et de la fierté des mineurs nordistes ? Que peut-on encore raconter le paysage de l’histoire ouvrière ? (Patrick Tournebœuf dans le bassin lensois)
Paris brûle, la planète prend feu, l’air vient à manquer (Denis Bourges, Expire).
Nous sommes asphyxiés, mais il nous reste des îles, des cabanes, des refuges, et de la fantaisie (très belle série onirique et fantastique de Yohanne Lamoulère)
Alain Willaume, série Donjons et mer Morte ©Tendance Floue/ Éditions Textuel
Nous achoppons sur, chutons, vacillons, et volons peut-être dans le ciel alors qu’en bas tout est si lourd, si abîmé, si anéanti (Meyer).
Livre choral, Fragiles trouve peut-être son point de vérité le plus haut dans les portraits de Caty Jan, membre de Tendance Floue jusqu’en 2003, année où elle est victime d’un accident cérébral la privant de la parole.
Elle est là, en fauteuil roulant ou debout, puissante, irréductible, fragile.
Tendance Floue, Fragiles, photographies de Pascal Aimar, Thierry Ardouin, Jean-Christian Bourcart (photographe invité), Denis Bourges, Gilles Coulon, Olivier Culmann, Ljubiša Danilović, Grégoire Eloy, Mat Jacob, Caty Jan, Yohanne Lamoulère, Philippe Lopparelli, Bertrand Meunier, Meyer, Flore-Aël Surun, Patrick Tourneboeuf, Alain Willaume, préface de Wajdi Mouawad, direction artistique Manon Lenoir assistée de Léa Bousqué, direction artistique Meyer et Mat Jacob, design graphique Agnès Dahan Studio, coordination du projet Françoise Vogt, Editions Textuel, 2022, 192 pages – 250 images
Cet ouvrage accompagne l’exposition Fragiles présentée à Sète dans le cadre du festival ImagesSingulières, du 26 mai au 12 juin 2022, et à la fondation Manuel Rivera-Ortiz à Arles, du 4 juillet au 25 septembre 2022
Le blog de Fabien Ribery 