Avec les travestis de Catane, par Lorenzo Castore, photographe

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©Lorenzo Castore

Glitter Blues est un livre sur le quartier des travestis de San Berillo, à Catane.

Elles s’appellent Franchina, Cioccolatina, Lulù Ramona, Brigida, Ornella, Monica the Viking, Fiorella, Rosa, Ambra et Graziella.

Quatre rues, le sentiment d’un autre monde, avec ses lois, ses codes, ses interdits, sa licence.

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©Lorenzo Castore

En découvrant le très bel ouvrage de Lorenzo Castore publié en Pologne chez Blow Up Press, Glitter blues, je me suis souvenu avec précision du film de Pietro Marcello, La Bocca del Lupo (2009), narrant, comme un récit mythologique des origines, l’amour fou entre Enzo, gangster sicilien ayant passé la moitié de sa vie en prison, et Mary, femme transgenre de Gênes, où se situe cette histoire d’essence documentaire envoyant dinguer tous les stéréotypes.

Et comment ne pas penser alors également au travail de Jane Evelyn Atwood sur les prostituées parisiennes ?

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©Lorenzo Castore

A Catane, le culte de Sainte Agathe, martyre morte en 251, à qui l’on arracha les seins à l’aide de tenailles, est encore très présent.

A sa mort, dit la légende chrétienne, un tremblement de terre eut lieu, suivi un an plus tard d’une irruption de l’Etna, les coulées de lave étant miraculeusement arrêtées devant les portes de la ville par le voile de la sainte retirée de son sépulcre.

« L’esprit païen de cette forte exposition d’abandon au mystère, combiné à l’image de la jeune fille humiliée, torturée et amputée dans son expression physique la plus symbolique de la féminité, confie le photographe fasciné par la ville, a créé en moi un puissant court-circuit qui m’a fait associer la vierge aux filles, à qui la nature n’avait pas accordé de seins mais des organes génitaux excessifs, ce qui avait causé, malgré elles, une identité personnelle conflictuelle et les avait trop souvent laissées comme des objets de discrimination sectaire. »

La prostitution est fille de la misère, et les immeubles bordant le quartier rouge n’évoquent pas précisément la dolce vita.

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©Lorenzo Castore

Le livre de Lorenzo Castore, essentiellement en noir et blanc, commence ainsi par un leporello montrant les fumerolles du volcan, comme dans Porcherie, de Pier Paolo Pasolini.

Planent en ces rues où tapinent les travestis la criminalité, la violence, les drogues dures, et l’exclusion, ainsi que, quelquefois, la mort la plus sordide.

Alternant portraits de personnes devenues des amies et visions de rues, le photographe italien témoigne d’une réalité où les difficultés existentielles obligent chacun à se surveiller pour éviter le moment d’un effondrement sans retour.  

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©Lorenzo Castore

Glitter Blues est un livre minéral, dur comme la pierre, dur comme la survie.

Il y a des rues obscures, un soleil de plomb accentuant les ombres, des chaises et des cuisses très nues pour attiser les clients.

On partage une cigarette, le string remonte haut entre les fesses, les chaussures à talons mettent en relief des mollets puissants.

Toi l’étranger qui passes par ici ne cherche pas à fuir notre regard, nous toutes nous appelons Méduse, et il n’y a pas de bouclier pour te protéger de nous.

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©Lorenzo Castore

Qui sait si tu n’aimerais pas découvrir la face cachée de tes désirs, et l’ardeur de nos caresses professionnelles ?

Contemple mes seins, tu en verras rarement de si beaux, de si doux, de si étranges sur un corps musclé.

Est-ce un péché de faire l’amour avec des réprouvées ?

Et mon sexe d’homme n’est pas inutile, tu t’en rendras vite compte.   

« Mon sens transparent de l’identité m’a fait me sentir chez moi autour d’eux, poursuit l’artiste. D’une certaine façon, leur lutte et leurs obsessions sont les miennes. Je suis dans ce livre autant qu’eux. Mon besoin de donner et de recevoir une chaleur désintéressée a été satisfait et réciproque par leur compagnie et par leur confiance mêlée de volubilité, et j’espère que ce livre peut donner quelque chose en retour, un témoignage rempli de vie réelle. »

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©Lorenzo Castore

Oui, ici peut s’exposer, loin de tout jugement et de toute menace, une intimité à la fois troublante et magnifique.

Lorenzo Castore photographie la beauté irréductible de poupées de chair évoluant aux marges de la folie.

Tout ici est prison, déréliction, impasse, abandon lamentable, et pourtant également fierté, provocation, liberté.

Christ est là aussi, dans ces bouges et parmi les paillettes des soutiens-gorges mal ajustés, ou les jarretelles craquelées.

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©Lorenzo Castore

Tout est théâtre, spectacle, et mystère profond.

Les fleurs se fanent vite à Catane, où la peau des misérables évoque nos propres flétrissures morales.

Mais attention à ne pas jeter l’opprobre sur ces filles d’Agathe la vierge, rien ne les distingue peut-être de vous que le courage absolu de persister dans leur être, quand vos richesses du moment sont généralement si basses et périssables.

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Lorenzo Castore, Glitter Blues, book design Aneta Kowalczyk, essays Francesco Franchina Grasso & Lorenzo Castore, Blow Up Press (Warsaw, Poland), 2021, 204 pages – 800 exemplaires

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Lorenzo Castore

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©Lorenzo Castore

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