©Grégoire Eloy
« Je suis allé chercher dans la pratique du bois et la vie à la campagne (pour moi l’un ne pouvait pas aller sans l’autre) ce que j’ai toujours aimé et recherché dans l’art : un style d’attention au monde, le pouvoir que la beauté a sur moi et la possibilité d’échapper aux intrigues de la vie quotidienne et citadine. » (Marc-Emmanuel Bervillé)
Il nous faut des cabanes dans des bois éloignés et denses.
Oh, trois fois rien, une dizaine de mètres carrés, de quoi mettre un lit large pour s’y reposer et y faire l’amour, une petite table pour y déjeuner et travailler, des caisses où poser des livres et quelques habits.
©Grégoire Eloy
Un poêle, des bougies, un seau, un savon.
Une fenêtre bien exposée.
Peut-être aussi quelque part une photographie de Bernard Plossu de petit format, pour nous rappeler, les jours les moins fastes, que le monde existe.
Le projet est politique, esthétique, existentiel, qui consisterait à unifier de façon souple – aucun systématisme, pas de dogmatisme, mais une poétique de la relation inventive – le peuple des habitants des cabanes un peu partout dans un département, une région, un pays, un continent.
Lors de ses séjours réguliers dans le Perche, de juillet 2020 à juin 2021, Grégoire Eloy, qui a choisi la photographie après être passé par la finance, a accompagné le charpentier local Marc-Emmanuel Bervillé – qui fut dans une autre vie marchand d’art, avant de rejoindre une formation dispensée par les Compagnons du Devoir – dans la construction d’une cabane en forêt.
©Grégoire Eloy
Les nuits en cet endroit insolite sont uniques, peuplées de rêveries, d’ombres et d’animaux généralement invisibles, mais audibles.
Un renard passe, il pourrait être un flash de George Shiras.
Multipliant les types d’images et de techniques, notamment de tirages, Grégoire Eloy documente une expérience, dont rend compte un livre publié dans la collection Les carnets du Champ des Impossibles (Christine Ollier/Patrick Le Bescont), structuré par un long entretien avec son ami artisan.
« Je cherche, déclare le membre de l’agence Tendance Floue, à tout mêler : la part documentaire, les éléments fictionnels, les tirages in situ, les photogrammes, etc., tout est prétexte à produire des images pour restituer l’expérience vécue. Sachant que l’expérience est double : la vie sur la parcelle et la photographie. »
L’enjeu est ici celui d’un décentrement, d’une ouverture, d’une disponibilité, à l’autre comme au lieu, au lieu comme à l’autre, et à l’art comme possibilité de retrouvailles avec le pleinement vivant.
©Grégoire Eloy
On pense à Thoreau, et aux merveilleuses Lettres de Gourgounel, de Kenneth White (1966), récit d’une installation dans une ruine peu à peu restaurée en Ardèche, et de la façon dont l’esprit parvient à dialoguer avec l’inconnu.
Vivre au rythme de la lumière naturelle, ne plus être harcelé par de vaines injonctions, prendre le temps d’écouter, d’observer, de bâtir peut-être.
« Le philosophe Baptiste Morizot évoque la crise de sensibilité au monde naturel qui caractérise notre époque. Que faire pour réactiver cette sensibilité, pour renouer avec le sauvage, sinon prendre le temps de se laisser imprégner, multiplier les expériences, changer de perspective, y revenir, provoquer l’inattendu, des surprises. »
Peur du noir, froid, découverte de soi, moments épiphaniques.
©Grégoire Eloy
Considérant sa parcelle en forêt comme une copropriété activée par tous les gens qui y viendront d’une manière ou d’une autre, Marc-Emmanuel Bervillé pense « communisme de l’action » – surtout pas accaparement des lieux.
Au cœur des réflexions contemporaines sur les interactions écosophiques (Félix Guattari) entre l’humain et son environnement naturel, mais aussi sur la santé psychique, Grégoire Eloy et Marc-Emmanuel Bervillé offrent à leurs lecteurs un moment d’espoir et de lucidité, ayant construit leur livre et leur conversation comme un refuge de montagne, simple, nécessaire, sans serrure.
Grégoire Eloy / Marc-Emmanuel Bervillé, Rencontre, coordination éditoriale Christine Ollier et Patrick Le Bescont, direction artistique Christine Ollier et Corinne App, collection Les carnets du Champ des Impossibles, Filigranes Editions / Art Culture & Co, 2022
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