
Gesenkter, du photographe gantois Simon Debbaut-L’Ecluse est un livre dont le titre, signifiant en vieil allemand quelque chose comme « tête baissée », est inspiré d’une œuvre de la dessinatrice, graveuse et sculptrice allemande Käthe Kollwitz (1867-1945).
Faut-il comprendre que nous sommes ici à la lisière d’un monde en extinction, ou, au contraire, le jour d’une renaissance, certes encore ténue, mais possible ?

©Simon Debbaut-L’Ecluse
Imprimé en Riso, avec grand soin, Gesenkter se situe dans un monde premier (dernier ?) peuplé d’amas rocheux et de solitudes, de végétaux étiques et d’oiseaux dont on peut se demander s’ils sont propitiatoires ou de mauvais augure.
En ces pages, la vie est essentiellement minérale, comme dans le cycle karmique nous faisant ensuite passer par l’état végétal, puis animal, puis humain.

©Simon Debbaut-L’Ecluse
Nous sommes sur une île, ou la lune, ou quelque autre astre à la fois effrayant, bouleversé et très pur.
Il y a des formes étranges, des concrétions, des mousses rigidifiées, une impression de temps arrêté, condensé, figé.
Que possèdes-tu toi, l’Eve ultime, si ce n’est la splendeur de ton squelette, et la possibilité de perpétuer en ton ventre la petite race humaine ?
Et toi, l’Atlas fragile ?

©Simon Debbaut-L’Ecluse
En attendant que du néant surgisse le tout, il faut marcher, chuter, errer, comme le protagoniste de Pasolini sur les pentes de l’Etna dans le film Porcherie.
Livre écosphique, Gesenkter pose par excellence l’une des questions majeures de la philosophie heideggérienne : comment peut-on habiter poétiquement le monde ? est-il suffisant de survivre et de se réfugier dans des bunkers ? comment atteindre l’indemne alors que règne la guerre, l’anonymisation et l’expropriation de soi-même ?
Dans l’Ouvert, tout exprime, tout regarde, tout parle, un tournesol fané, une forêt d’épineux, une ruine.
Un bélier sera bientôt sacrifié, il faut repaître les dieux, mais le Christ de miséricorde, entrant à Jérusalem sous une allée de palmiers, en demande-t-il vraiment tant ?

©Simon Debbaut-L’Ecluse
Il faut réinventer des rites, déplacer des pierres, construire des totems, traverser la catastrophe tel un batracien antédiluvien dans l’éternel retour du même.
Dans la tempête froide du déclin de l’Occident, les orants sculptés nous rappellent que le sacré ne doit pas être abandonné.
Le sacré, c’est un entrelacs de racines formant sur la roche une toison.
C’est la femme se baignant nue avant de faire l’amour sur un tapis de blé.
C’est l’arbre protégé d’une invasion d’insectes pouvant le blesser intimement.
C’est un vieillard mourant en entendant sonner le glas.

©Simon Debbaut-L’Ecluse
La tête est baissée, parce que nous ne savons rien ou si peu, parce qu’ici l’orgueil n’a pas de place, parce que, comme Isaac, nous nous devons d’offrir notre cou au couteau de notre père pour être finalement sauvé.

Simon Debbaut-L’Ecluse, Gesenkter, épilogue (en flamand) de Stephan Vanfleteren, autopublication Simon Debbaut-L’Ecluse & Topo Copy, 2022 – 150 exemplaires numérotés
