
©Dimitra Dede
Comment ne pas écrire des textes de feu pour Dimitra Dede, dont les livres sont si intenses, si sensibles, si engagés dans l’existence poétique ?
Ce sont en quelque sorte des esquisses définitives : ne surtout pas peser, se maintenir en équilibre sur un fil, entrevoir des mystères, s’approcher de la zone du sans-retour.
Née en Grèce, vivant à Londres, l’auteure du très remarqué Mayflies (VOID, 2019 – voir mon article du 19 janvier 2020) questionne une nouvelle fois la place de l’être humain dans l’ordre de l’univers, à partir des réflexions du savant et philosophe dit présocratique, né et mort en Turquie, Anaximandre de Milet, qui fut l’élève de Thalès.

©Dimitra Dede
Son idée majeure – titre de l’ouvrage publié aujourd’hui avec un luxe d’attention par Origini Edizioni à Livourne – est celle de l’apeiron, soit le principe même de toute chose, à la fois illimité, universel, éternel.
L’apeiron serait donc une sorte de noyau originel duquel procéderait l’ensemble du vivant, l’élément fondamental d’un temps pré-mythique où tout serait matière primordiale et fluidité, peut-être comme un embryon aux dimensions de l’univers.
Au commencement étaient les ténèbres, mais aussi l’eau, ou une mémoire absolue.
Sous le papier calque d’Apeiron apparaît, dans une tempête hugolienne dessinée au fusain de l’objectif, une roche, un navire de pierre, un socle.

©Dimitra Dede
Le cerveau est ici une surface liquide où flotte le corps d’une femme, vierge vivace, plante aquatique poussée dans le ventre d’une mère absolue appelée Madonna del Parto.
Sucer des seins de pierre, pleurer des larmes de bitume, sortir intact d’une moire amniotique ou d’un magma de roches incandescentes.
Le format carré du livre rappelle le célèbre dialogue entre Socrate et l’un des esclaves de Ménon capable d’accéder à la vérité sans même en connaître les contours, parce que, telle est l’hypothèse du philosophe, le savoir est réminiscence, chaque homme possédant des intuitions concernant le vrai et le faux.

©Dimitra Dede
Avancer nu dans l’inconnu, savant de l’inconnaissable.
Au bord du précipice, observer la présence d’une ligne fantôme, telle une corde de sauvegarde.
Il n’y a pas de limite mais des limitations.
Il y a du flux, des métamorphoses, des processus de métempsychose.
Que les femmes soient quelquefois si belles n’est-il qu’un effet de la nature cherchant à persévérer dans son être par le pouvoir de fécondité qu’il est possible de leur prêter ?

©Dimitra Dede
On habite ici, ou là, on glisse ici, ou là, on se superpose ici, ou là.
On fait l’amour à la nuit, ici, ou là.
Vénus aux courbes nues marche sur un désert de glace alors que craquent en leurs lignes de failles les continents à la dérive.
Le mage Hölderlin a écrit dans son fameux Hypérion : « Vous déshonorez, vous démolissez, partout où elle vous tolère, la patiente nature, et cependant elle continue de vivre d’une éternelle jeunesse et vous ne parvenez pas à repousser son automne et son printemps, et son éther, vous ne le corrompez pas.
Ah, faut-il qu’elle soit divine, pour que vous puissiez détruire sans que cependant elle vieillisse, ni que le beau cesse, malgré vous, d’exister ! » (Hypérion, Hölderlin)
Continuer à faire vivre le beau, transmettre une étincelle atemporelle, immortelle, éternelle, telle est, me semble-t-il, la mission essentielle sur notre petite planète malade de Dimitra Dede.

Dimitra Dede, Apeiron, texte (anglais/italien) Matilde Vittoria Laricchia, design Valentino Barachini, Origini Edizioni (Livourne, Italie), 2022, 42 pages – 150 exemplaires numérotés

©Dimitra Dede
https://origini-edizioni.myshopify.com/products/apeiron-dimitra-dede-2022