©Mathias de Lattre
« Nous ne pouvons plus ignorer le potentiel des psychédéliques pour traiter la dépression. Ils vont avoir un impact considérable sur les neurosciences et la psychiatrie dans les années à venir. » (Robin Carthart-Harris, fondateur du Centre de Recherche Psychédélique en 2019 à l’Imperial College de Londres)
Souffrant de troubles bipolaires, la mère de Mathias de Lattre, photographe, auteur du passionnant Mother’s Therapy, se soigne depuis vingt ans par la prise de médicaments issus de la pharmacologie industrielle, se révélant plus néfaste que bénéfique.
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« Les différents cocktails distribués quatre fois par jour paralysent mon esprit, déclare une maman perdue, bloquent toutes pensées. (…) Stupéfaite le matin, abrutie le soir, totalement éparpillée… Non ce n’est pas le moment de réfléchir. »
Et s’il était possible de se soigner autrement, mieux, plus efficacement, avec l’aide des psychédéliques naturels, notamment les champignons hallucinogènes ?
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Tel est l’objet d’un ouvrage, publié par The Eriskay Connection, menant l’enquête du côté de la psilocybine, substance produite par plus de cent-quatre-vingts espèces de champignons aux vertus généralement peu exploitées.
Des scientifiques sont interrogés, médecins, mycologues et mythologues travaillant au Pérou, préhistoriens spécialistes des grottes ornées.
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Se découpant en six parties – Mother Past / Peru / Science / Detox / Therapy -, le bel ouvrage de Mathias de Lattre aux papiers très choisis multiplie les pistes de réflexion, et les images de natures différentes, en couleur et noir & blanc, d’archives ou contemporaines.
Dans la grotte ornée de Pech-Merle, dans le Lot – des peintures datant de plus de vingt mille ans -, à Lascaux, à Saint Cirq, au Font-de-Gaume (Dordogne), nos ancêtres n’ont-ils pas connu le pouvoir des champignons stupéfiants ?
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La fresque de Selva Pascuala, dans l’est de l’Espagne, tendrait à prouver l’utilisation de champignons psychédéliques depuis la Préhistoire, alors que les Mayas, de l’autre côté de l’Atlantique, ont sculpté il y a deux mille ans de petites pierres en forme de champignons par centaines.
Employés comme éléments majeurs permettant d’accéder à des états modifiés de conscience lors de cérémonies rituels chamaniques, les champignons hallucinogènes n’ont-ils pas fait l’objet, depuis l’avènement du christianisme et la mainmise de l’église sur les pratiques païennes, d’un déni systématique ?
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En 1971, précise Vincent Verroust, docteur au Centre Alexandre-Koyré, la Convention sur les substances psychotropes, interdisant les substances psychédéliques, a significativement ralenti la recherche thérapeutique sur ces substances.
Un lien a été coupé avec un antique savoir, que des sociétés plus ou moins clandestines cherchent à rétablir.
Le champignon séché ne ressemble à rien, il est grotesque et rabougri, mais ses pouvoirs sont considérables, qu’il est peut-être idiot de négliger.
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« L’éventail actuel des médecines dans un monde globalisé et en crise, analyse Jacques Mabit, spécialiste de médecine naturelle, invite à réfléchir sur comment se produisent les rencontres et rendez-vous ratés dans le domaine de la santé entre des logiques liées à la tradition face à celles de la modernité en matière de santé. La Médecine Traditionnelle Amazonienne où le chamanisme joue un rôle clé, laisse apparaître face à cet écartèlement, un champ d’analyse privilégié afin d’élaborer de nouveaux modèles opératifs autour de bien-être et de bien-vivre. »
Les plantes psychoactives peuvent nous aider à mieux nous soigner, le savoir des peuples amazoniens n’est pas totalement perdu.
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Le tabac est devenu notre pire ennemi, qu’il faudrait pourtant remercier quand il n’est pas chargé des poisons de l’industrie : « La connotation négative du tabac dans la société occidentale a fait perdre la connaissance des vertus médicinales extraordinaires de cette plante, considérée depuis toujours comme sacrée par de nombreux peuples autochtones du continent américain. »
Nous nous éveillons, de nouveaux chemins s’ouvrent, alors que la France croit faire un grand pas contre la superstition en déremboursant l’homéopathie et en interdisant d’exercice les médecins divergents.
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Rémi Coignet, relisant Jacques Ellul et sa critique de la coalescence dangereuses des techniques industrielles, gouvernementales et économiques, résume avec pertinence, et humour, le projet du photographe : « Ce à quoi Mathias de Lattre fait face est l’aporie de la médecine technicienne. Autrement dit, la contradiction logique indépassable à laquelle elle se heurte lorsque ses remèdes s’avèrent, hélas, inefficaces. Elle n’a alors d’autre issue que d’augmenter la dose ou d’enrichir le cocktail au risque que le patient ne meure guéri (Knock, Molière…). »
De structure hybride, Mother’s Therapy est un ouvrage de raison ouverte sur une approche du soin intégrant le corps dans son environnement naturel, proposant d’autres chemins de guérison que la stricte perspective technoscientifique soumettant les corps et les esprits à des procédures leur dénuant toute part de sacré.
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L’art, quand il n’est pas soumis à la seule logique de la pensée calculante, peut être aussi par sa profondeur de vérité soin de l’âme.
Mathias de Lattre, Mother’s Therapy, texts (english/french) de Mathias de Lattre, Rémi Coignet, Olivier Chambon, Jacques Mabit et Vincent Verroust, text editing Daisy Hiddyard, design Carel Fransen, The Eriskay Connection, 2021, 128 pages – 750 exemplaires
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The Eriskay Connection – se procurer le livre
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Série exposée lors de l’édition 2021 du festival Circulation(s)
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