Psychiatrie publique, la catastrophe, par Emmanuel Venet, écrivain, psychiatre

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« N’oublions pas que, selon plusieurs grandes voix dont celle de Lucien Bonnafé ou Jean Oury, le degré de civilisation d’une société est corrélé à sa bientraitance envers ses malades mentaux. »

Défendre la psychiatrie de secteur, proche du système de la carte scolaire, contre les spécialisations menant à la privatisation des services et la logique de l’adaptabilité des patients plutôt que celle de la liberté des sujets, tel est l’objet d’un petit livre nécessaire comme un cri d’alarme à l’heure de l’omnipotence managériale prônant une rationalisation tous azimuts à l’hôpital, Manifeste pour une psychiatrie artisanale.

Cet ouvrage est de l’écrivain Emmanuel Venet, par ailleurs psychiatre à l’hôpital du Vinatier, près de Lyon, depuis presque quarante ans, travaillant dans l’héritage de Lucien Bonnafé, François Tosquelles et Jean Demay.  

Prendre le temps du soin, ne pas chercher à éradiquer à tout prix les symptômes, aborder la souffrance psychique de façon multifactorielle.

Le constat, énoncé dès les premières lignes, est sans appel : « La psychiatrie publique de notre pays craque de toutes parts, et sur ce point le diagnostic est presque unanime : les hôpitaux n’ont rien d’hospitaliers même lorsqu’ils sont flambant neufs ; les centres médico-psychologiques proposent des délais de rendez-vous indécents, même et surtout dans les communes où les besoins de soin sont les plus criants ; les cliniques privées se transforment en outils financiers et la logique de rentabilité y concurrence dangereusement la fonction thérapeutique ; les praticiens libéraux deviennent inaccessibles en raison d’agendas surchargés et/ou de dépassements d’honoraires rédhibitoires ; les équipes paramédicales, débordées et déboussolées, ne savent plus à quel corpus théorique se référer pour penser leurs pratiques ; et les médecins hospitaliers s’engagent dans des guerres stériles – théoriques, pratiques, territoriales -, quand ils ne choisissent pas de déserter. »

Continuer à travailler pour l’institution devient un acte politique militant, quand les personnels sont si maltraités, ou/et déconsidérés, surtout lorsqu’ils utilisent encore dans leurs pratiques la psychanalyse.

Alors que s’insinue peu à peu l’idée d’une psychiatrie du risque (être capable de prévenir, voire prévoir, les actes supposés déviants) fondée sur un déterminisme génétique entraînant une véritable révolution épistémologique, Emmanuel Venet rappelle les valeurs de la psychiatrie de secteur instaurée par une circulaire de 1960 en faveur de tous, y compris des patients les moins solvables disposant de la sécurité sociale ou/et aujourd’hui de la CMU.

Dénonçant le manque de moyens et l’augmentation des contraintes pesant sur ces structures, l’essayiste point une régression consternante de la pratique soignante : « de moins en moins suivis et accompagnés au quotidien par les structures sectorielles de proximité, les malades psychiatriques présentent de plus en plus de troubles comportementaux graves, justifiant le recours à des services disciplinaires dont ils sortent avec l’étiquette de grand fauve collée au front. En matière de prévention de la stigmatisation, on a fait mieux. »

On ferme en masse des lits, perte très mal compensée par la création de places en établissements médico-sociaux, l’Etat étant mû par une politique excessive de diminution des crédits – on appelle cela la nouvelle gouvernance – au profit des services prônant parfois le miracle d’une réponse génétique.

La mélancolie ou le chagrin ne sont bien évidemment pas forcément des maladies psychiques, mais des épreuves que la vie nous inflige.

Il faut ici interroger la place prise dans la pensée des troubles mentaux par le fameux DSM venu des Etats-Unis, soit une façon de remplacer les termes de névrose et de psychose par celui de trouble, plus facilement traitable peut-être par la pharmacopée s’adossant sur des algorithmes conçus par la toute-puissante Intelligence artificielle.

« Ce qui est à défendre aujourd’hui, affirme Emmanuel Venet, contre le courant neuroscientiste, l’EBM (Evidence-Based Medecine utilisant les corrélations statistiques comme preuves) et la protocolisation des soins psychiques, c’est un mode d’exercice de la psychiatrie que je qualifie d’artisanal, prenant en compte le caractère unique et la triple dimension biopsychosociale des personnes soignées. Autrement dit, l’importance de l’investigation clinique, l’intérêt pour le cas d’espèce, l’invention pour chaque malade du dispositif de soin le plus pertinent et la prise en compte de son mode de vie singulier. Cela implique une marge de liberté dans le choix des appuis théoriques de la part du praticien. »

Portée par une écoute professionnelle, la relation thérapeutique fondée sur la subjectivité de tous les protagonistes et l’expérience de l’altérité est déjà du soin relevant d’un artisanat d’art proche, poursuit l’écrivain, de la lutherie.

Patience, lenteur, extrême attention aux sons et effets de sens tenant compte de la spécificité de chaque bois/psychée.    

« En 1999 la psychiatrie publique suivait 1,1 million de patients. En 2014, le chiffre dépasse les 2 millions. »

Et en 2022 où l’impression générale est que la société française se fissure de toutes parts ?

Emmanuel Venet, Manifeste pour une psychiatrie artisanale, Verdier, 2020, 94 pages

https://editions-verdier.fr/

https://www.leslibraires.fr/livre/16768136-manifeste-pour-une-psychiatrie-artisanale-emmanuel-venet-verdier

Un commentaire Ajoutez le vôtre

  1. Triste constat d’une société, pardon, d’humains qui se sont encore vendus au Veau d’Or.
    Encore et encore.
    Et ce n’est pas une majorité.
    Juste une minorité.
    Qui n’a rien compris depuis les temps dit bibliques, et des avis de Moïse…
    Miss G

    J’aime

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