
« Maintenant, une question se pose : quelle est la raison d’être d’une période comme celle où nous vivons ? »
Nous vivons à bien des égards un temps d’effondrement, de catastrophe, de fin.
Bien entendu, c’est aussi un moment de révélation, un dessillement, un éclat de vérité, quand ce qui était caché et profondément enfoui devient enfin visible.
La cathédrale de Paris a brûlé pour que chacun se rappelle à quel point peut être merveilleux l’or de son temple intérieur, si négligé, si sali, si terni.
Cette situation dégradée et de grand danger, le philosophe ésotériste René Guénon en fait l’analyse dans un essai paru en 1927, La Crise du monde moderne, aujourd’hui repris par les éditions Allia reproduisant le texte paru chez Gallimard en 1946.
Comme Paul Valéry – lire aussi chez Allia Le bilan de l’intelligence -, l’auteur de Orient et Occident déplore la tyrannie de la vitesse dans une société ne parvenant plus à célébrer ce qui la fonde.
Est-il possible qu’un redressement ait lieu et que le lingam brille plutôt qu’il ne coule pauvrement à partir du manque ?
Il semblerait, diagnostique René Guénon, que nous approchions du dénouement, de ce que d’aucuns appelleraient le « jugement dernier ».
Les élus aujourd’hui ? Les innocents, les cœurs purs, tous ceux qui travaillent à progresser spirituellement et à quitter les faux attachements.
La fin d’un monde n’est pas la fin du monde, tout va bien.
On peut faire remonter, précise le penseur, notre moment « historique » au VIe siècle avant Jésus-Christ, l’esprit moderne n’étant selon lui que l’esprit antitraditionnel (ne pas confondre esprit traditionnel et traditionalisme), alors que, en secret, des écoles de mystères persistent.
Les Temps modernes ? dégénérescence des anciennes doctrines sacrées, messianisme désordonné, engluement dans la matière, dispersion, l’homme considéré comme unique mesure de toute chose étant une abomination.
Il convient pour Guénon de rétablir un lien de nécessité entre l’Orient et l’Occident, et de se souvenir de la civilisation de l’Atlantide, dont la destruction « est le dernier grand cataclysme arrivé dans le passé ».
« Pour restaurer la tradition perdue, pour la vivifier véritablement, il faut le contact de l’esprit traditionnel vivant, et nous l’avons déjà dit, ce n’est qu’en Orient que cet esprit est encore pleinement vivant. » (le texte est écrit dans les années 1920)
A la jonction de la complémentarité de la contemplation (Orient) et de l’action (Occident) se trouve peut-être ce qu’Aristote nomme le « moteur immobile », la connaissance (gnose).
L’action n’est pas agitation, la contemplation n’est pas assoupissement.
Trouver le permanent dans le mouvant, et le mouvant dans le permanent.
Retrouver le véritable esprit scientifique, qui n’est pas séparation, fragmentation, division, spécialisation, mais pensée de l’unité, de la totalité, de l’interdépendance.
La chimie est dégradation de l’alchimie, comme l’astronomie l’est de l’astrologie, la mathématique moderne de la pythagoricienne, l’individualisme du principe d’individuation, la religiosité et sa sentimentalité de la religion en son feu, l’instruction obligatoire de la véritable éducation intérieure, et le moralisme de la morale.
L’enjeu est de rétablir un royaume, de restaurer l’intellectualité véritable, de quitter les avilissements du profane, de retrouver une noblesse.
« Il y a dès maintenant, conclut René Guénon, dans le monde occidental, des indices certains d’un mouvement qui demeure encore imprécis, mais qui peut et doit même normalement aboutir à la reconstitution d’une élite intellectuelle [spirituelle], à moins qu’un cataclysme ne survienne trop rapidement pour lui permettre de se développer jusqu’au bout. Il est à peine besoin de dire que l’Eglise aurait tout intérêt, quant à son rôle futur, à devancer en quelque sorte un tel mouvement, plutôt que de le laisser s’accomplir sans elle et être contrainte de la suivre tardivement pour maintenir une influence qui menacerait de lui échapper. »
N’est-ce pas, Valentin Retz ?

René Guénon, La Crise du monde moderne, Editions Allia, 2022, 174 pages
https://www.editions-allia.com/fr/auteur/502/rene-guenon

Cela mérite réflexion…
Miss G
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