
©Benjamin Hoffman
« On n’en a jamais eu besoin ici, du progrès. Même en plein apartheid, sur les embarcations, les Noirs, les Blancs, les Coloured travaillaient ensemble. Pendant l’apartheid ! Et la plage de Kalk Bay ; la seule du pays où tout le monde pouvait venir et nager. Librement. (…) Les gouvernements successifs qui nous méprisent nous imposent des permis de pêche sortis de leurs chapeaux trop grands, des quotas pour limiter les prises ; ces gens-là sont déjà une menace. »
C’est un livre superbe, passionnant de propos, auquel il faut immédiatement attribuer des prix, tant le fond et la forme s’unissent en une intelligence sensible partageuse.
The Bay, de Benjamin Hoffman, est une série photographique consacrée à ce qui fut, pour l’Afrique du Sud, l’un de ses plus grands lieux de tolérance, où les communautés métisses, noires et blanches, pouvaient travailler ensemble.

©Benjamin Hoffman
Il s’agit du village de Kalk Bay, le plus vieux port de pêche du pays, où se rencontrèrent et mélangèrent depuis le XIXème siècle navigateurs philippins, anciens esclaves malais, communautés noires natives, explorateurs portugais et toutes sortes de voyageurs installés à demeure.
Un port où les cultes religieux ont pu cohabiter, le prêtre catholique et l’anglican, l’imam et le rabbin, ainsi que tous ceux que l’on ne connaît pas.
Aujourd’hui, la pêche est une activité en déclin, il ne restera bientôt plus de l’âge d’or que des bâtiments fatigués, des histoires transmises aux familles et aux copains, mais aussi, peut-être, des photographies.
« Il faut des années de pratique pour apprécier un changement de teinte dans la flotte. Mais quand tu commences à comprendre, la couleur bleue n’existe plus. C’est une palette infinie qui s’offre, et avec elle, toutes les clefs de l’océan. »

©Benjamin Hoffman
The Bay est un livre composé de scènes villageoises et de portraits magistraux, disant la mélancolie des derniers rêveurs des abysses.
Ses couleurs sont celles de l’héraldique médiévale, provenant directement de quelque enluminure précieuse trouvée enroulée dans une bouteille jetée à la mer.
Car The Bay n’est pas qu’un document sur un lieu fascinant perdant peu à peu son âme, bousculé par la modernité et ses semblants, c’est d’abord un acte poétique, une célébration de la diversité humaine unie par l’océan, ses beautés, ses dangers, ses secrets.

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Il y a de la prière ici, mais sans ostentation, comme un recueillement très intime.
Des hommes concentrés, des filets, un phoque placide qui bientôt fera un massacre.
On échange des cigarettes, on attend, on se souvient.
Les créatures marines côtoient les créatures humaines, parfois tatouées – on pense à Tashtego, l’indien wampanoag, harponneur de Moby Dick, ou Queequeg, venu du Pacifique.
Il faut bénir les bateaux, bénir les reflets irisés, bénir la fraternité menacée.

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Les enfants jouent sur les rochers, un homme fume de la ganja, les derniers poissons du miracle de la création frétillent encore un peu.
Il ne faut peut-être pas s’accrocher au passé, laisser la place pour de nouveaux rêves, d’autres fictions, d’autres récits.
Par l’énergétique de ses couleurs, The Bay transmet la possibilité d’un avenir dans un présent chargé de mélancolie.

Benjamin Hoffman, The Bay, texte Benjamin Hoffman, Les Editions de Juillet, 2022, 104 pages
https://www.benjaminhoffman.fr/
https://www.editionsdejuillet.com/products/the-bay
