Monet et Redon, peintres du mystère, par Olivier Schuwer, historien de l’art

Claude Monet, Portrait de Suzanne aux soleils, 1889, huilt sur toile 162 x 107 cm, collection particulière

Quel plaisir, quel luxe, de pouvoir lire une publication aussi sensible et cultivée que Studiolo, dont le dernier numéro (18) s’intitule Indétermination.

Outre des articles (liste non exhaustive)à sur le froissé dans la peinture classique (Guillaume Cassegrain), l’esthétique de l’indéterminé chez Donatello, Ficin, Michel-Ange et Vasari (Baptiste Tochon-Danguy), la braguette dans l’Europe des cours au XVIe siècle (Gaylord Brouhot), le Saint Roch et le donateur propitiatoire (éloigner la peste et la tempête) de Parmesan (Florence Larcher), on trouve dans la revue annuelle d’histoire et théorie des de l’Académie de France à Rome – Villa Médicis un propos passionnant d’Olivier Schuwer, issu de sa thèse, sur les visées esthétiques à bien des égards communes de Claude Monet et Odilon Redon perçues par Husymans et surtout Stéphane Mallarmé.  

Ces deux peintres que tout semble opposer – la clarté et le plein air pour l’un, la nuit et la terreur à la façon de Poe pour l’autre – ont cependant une recherche parallèle concernant le mystère de toute présence, passant certes par l’obsession de la lumière, éblouissante, aveuglante, spirituelle, observée par premier, et le noir comme arche de l’énigme de l’être pour le second.

Ces deux artistes appartenant à des mouvements artistiques différents – l’impressionnisme, le symbolisme – au fond n’appartiennent pas, et situent leur pratique aux marges de toute école, de tout académisme, de toute récupération – loin, très loin, de l’atelier d’un Jean-Léon Gérôme.

De la singularité avant tout, et une logique de confrontation avec l’indétermination.  

La peinture ne procède pas chez eux d’une idée, mais l’idée procède de la peinture.

Mallarmé, cette personnalité « vectorielle », admirait les deux peintres pour leur haut degré d’hallucination mis au service d’une quête fondamentale, par le flou pour Monet, et les images ambiguës pour Redon, leurs œuvres ouvertes, polysémiques, donnant au spectateur toute liberté pour les interpréter, les deviner, les prolonger.  

Odilon Redon, L’Enfant devant l’aurore boréale, 1893-1894, pastel sur papier 27 x 26,8 cm, Dijon, Musée des Beaux-Arts

« Alors que le peintre impressionniste, analyse Olivier Schuwer, s’en tient à la « nature » dans son expression canonique – le paysage -, Redon en élargit le spectre à l’imagerie scientifique moderne. Si le premier recherche l’innocence de l’œil et l’enfance de l’art [et bien plus encore, puisque son œuvre possède une indéniable dimension ésotérique], alors le second se tourne vers la forme embryonnaire et originelle offerte par la microbiologie, l’embryologie, la tératologie, l’astronomie ou les recherches sur l’homme préhistoriques qui lui fournissent de nouvelles visions en mesure de stimuler sa « perception  imaginative » et celle de son spectateur. »

Les impressionnistes procèdent par « brouillage de la vision », dans une forme d’acte soustractif, quand Redon s’attache à la précision graphique, tous deux se rattachant par des moyens différents à l’art mallarméen de la suggestion, l’écrivain alternant quant à lui entre hermétisme et une sorte de transparence supérieure.

Octave Mirbeau, décrivant le somptueux Portrait de Suzanne aux soleils, la rapproche de la Ligeia de Poe : « A-t-elle de l’ennui, de la douleur, du remords, quel est le secret de son âme ? On ne sait pas. Elle est étrange comme l’ombre qui l’enveloppe toute et, comme elle, troublante, et terrible, aussi, un peu. Mais plus étranges encore sont ces trois fleurs de soleil, immenses, qui s’élancent d’un vase, placé près d’elle, sur la table de laque, montent, tournent au-dessus et en avant de son front, pareilles à trois astres, sans rayonnement, d’un vert insolite à reflets de métal, à trois astres venus d’on ne sait d’où, et qui ajoutent un mystère d’aube, un recul d’ombre, au mystère, au recul de l’ombre ambiante. »

Monet et Redon, peintres du fantastique ? Mais oui, des spectres bleutés, et des gouttes de sang.  

Peindre – et écrire – consisterait-il à apprivoiser, voire conjurer, la mort et réinventer le mystère de la vie ?

Redon l’affirme : « Peindre, c’est […], ainsi que la nature, créer du diamant, de l’or, du saphir, de l’agate, du métal précieux, de la soie, de la chair », mais aussi : « Car il faut bien en convenir, si je n’avais pas vu les impressionnistes, je n’aurais pas fait de couleur. »

Revue Studiolo, Indétermination, 2021-2022, Editions Macula, 2023, 234 pages

https://www.editionsmacula.com/livre/174.html

https://www.leslibraires.fr/livre/20461874-revue-studiolo-n18-l-indetermination–collectif-macula-editions?Affiliate=intervalle

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