Allemagne, kaputt, par Willem Frederik Hermans, écrivain

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Les désastres de la guerre, gravure 3, Francisco de Goya

« Les maisons abandonnées étaient sur le point de se mettre en branle pour se resserrer autour de moi, s’offrant telles des femmes de récits de voyage dans l’Inde transgangétique. »

Publié par Gallimard avec le soutien de la Fondation néerlandaise pour la littérature, La maison préservée est un court roman éblouissant de Willem Frederik Hermans, décédé en 1995 à Utrecht.

Très considéré aux Pays-Bas, cet écrivain, qui a longtemps interdit toute traduction de son œuvre, est apparu sur la scène littéraire française en 2006 avec La chambre noire de Damoclès (2006) et Ne plus jamais dormir (2009).  

Mais de quoi s’agit-il ici ?

Un Hollandais portant un uniforme russe, parlant parfaitement allemand, est enrôlé dans un groupe de soldats se composant de partisans bulgares, tchèques, hongrois et roumains avec qui il ne parvient pas à communiquer.

« Des gens ne provenaient pareillement que des bruits. Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! – Des prolétaires incapables d’échanger entre eux les paroles les plus bêtes. »

Se retrouvant à peu près seul dans une station thermale de luxe détruite par la guerre, il s’établir dans une vaste maison abandonnée, où les Allemands qui soudain l’envahissent le prennent pour son propriétaire légitime.

Peu à peu, l’absurde de la situation devient une normalité, avant que tout ne se dérègle et ne sombre dans la sauvagerie.

Que reste-t-il de la culture ? A quel moment bascule-t-on dans la barbarie ? Y a-t-il en nous des zones échappant à la corruption morale ?

Ecrit à la première personne, La maison préservée donne de la guerre de libération une vision chaotique, antihéroïque, lamentable.

« Un Allemand sortit en se précipitant vers la route. Je l’abattis. De même un deuxième, un troisième, un quatrième. Ils se pliaient en deux, pareils à des papillons vivants que l’on transperce ; je les tuais d’une épingle de deux cents mètres de long. »

Beauté de la métaphore trouant l’espace des descriptions par le souffle d’un Verbe pur.

Voici maintenant la maison, son odeur, sa stature, sa puissance, sa netteté.

Une bibliothèque, un bureau, une grande salle de bain.

Le confort de l’eau chaude.

« Je portai les yeux sur mon corps pour voir s’il n’avait pas commencé à se transformer en une momie jaune soufre. (…) J’aiguisai mon attention. Propre comme un sou neuf, je m’attendais à découvrir toutes sortes de marques sur mon visage. Je ne découvris rien. Ce que j’avais traversé avait disparu sans laisser de traces. Notre apparence est incapable d’emboîter le pas de notre mémoire. Un homme de quatre-vingts ans qui se regarde n’a pas l’impression d’avoir vu, dans la glace, quelqu’un d’autre alors qu’il n’en avait que huit. »

L’uniforme est remisé, la vie reprend sans heurt, alors qu’au loin les bombardements se poursuivent.

La beauté du lieu pousse à la décence, à la civilité, à l’affabilité.

L’illusion est parfaite, les officiers allemands ayant réquisitionné le logis se montrent d’une politesse exquise, et le jardin se révèle des plus agréables.

Un jour, se présente le véritable propriétaire de la demeure.

Hurlement.

Broyage des cartilages du larynx.

Sang qui coule.

Devant les soldats qui se fardent et tirent sur le papier peint en déféquant dans des vases, Willem Frederik Hermans se souvient de Poe et de Maupassant.

Souillée, la maison titube, mais tient encore debout, personnage grotesque d’une farce macabre.

Willem Frederik Hermans, La maison préservée, traduit du néerlandais par Daniel Cunin, Gallimard, 2023, 80 pages

https://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Du-monde-entier

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