Petites poupées perverses de pensée sorcière, par Hans Bellmer, artiste

La réversibilité, 1937, Hans Bellmer

« Il s’agit ici d’une unité toute nouvelle de la forme, du sens et du climat émotionnel des images verbales, qui ne peuvent pas être inventées ou laborieusement échafaudées. Elles entrent dans leurs correspondances sans avertissement et, chargées d’une réalité particulière, elles rayonnent vers de nombreuses interprétations, entrelacent des nœuds avec des significations et avec des échos avoisinants, facétieuses comme un polyèdre miroitant, comme un objet nouveau. » (Hans Bellmer, Textes de sorcières, 1954)

Beaucoup plus subversif que bon nombre des théoriciens du genre, beaucoup plus visionnaire, beaucoup plus inéducable, voici Hans Bellmer.

Les éditions L’Atelier contemporain publient aujourd’hui, dans une édition établie et présentée par Stéphane Massonet comportant dix-sept illustrations, les écrits de l’artiste allemand – né en Pologne en 1902 – ayant fui la férocité du régime nazi pour développer son art en France, essentiellement entre Paris et Carcassonne.

Le français n’est pas parfait, mais comme la voix est douce, exprimant quelquefois dans une exquise courtoisie des propos brûlants.

Cette édition intitulée Le corps et l’anagramme révèle un homme multiple, œuvrant par le corps libéré, désarticulé, métamorphosé, à la mise à bas des hiérarchies et des autorités paternelles.

On trouvera en ce volume enthousiasmant – tant il va à l’encontre de notre époque de banquiers et de moralisateurs infects – des textes parfois fameux, l’excellent Petite anatomie de l’inconscient physique ou L’anatomie de l’image, et tout un ensemble de lettres passionnantes, à René Magritte, André Breton, Joë Bousquet, Bernard Noël, Maurice Nadeau, André Parisot, Paul Eluard, Mario Prasinos, au docteur Ferdière…, où sont parfois exprimés les difficultés matérielles et l’isolement du poète extrême.

Aller vers l’inconnu en soi, en l’autre, ne pas contenir la puissance des fantasmes comme points de vérité, vivre dans le déplacement et la désidentification, ainsi œuvre Bellmer, qui illustra notamment, risquant à tout instant d’être jeté dans les prisons de l’infâmie bienpensante, Histoire de l’œil, de Georges Bataille et Histoire d’O, de Pauline Réage.  

Sade rôde, les loups hurlent, la belle Unica Zürn, sa compagne, écrit (il traduit) : « Le meuble plein de morsures d’épines / Rose plein de sable au lac aveugle / Image de mousse misérablement abandonnée / Chant plein de sens mêlant sable / en plein sable, rose aveugle au lac. »

Les poupées de Bellmer bandent, ses phallus mouillent, les organes gonflent et se rétractent comme des poumons monstrueux et beaux.

Tiens, lisons cet éloge de la pornographie consommée à deux (texte Strip-tease) : « La présence d’un public anonyme, qui participe à une température érotique voulue, me paraît être d’importance. J’ai pu le ressentir à un très haut degré presque chaque fois que j’ai assisté en compagnie amie, féminine, à la projection de films d’inspiration et de réalisation totalement obscènes. Ils ne peuvent pas ne pas produire un effet explosif à retardement, libérant et de longue portée heureuse sur les variations de la vie intime à deux. Je désirerais même dire qu’un sirocco pathétique, balayant la crasse chrétienne des « pudeurs » mercantiles, se dégage de la mise sous projecteur public de pareilles exaltations et fonctionnements du désir. Quelques-uns de ces films sont à classer parmi les petits chefs-d’œuvre du siècle. Ils entrent dans la catégorie des catalyseurs. »

Nous possédons une anatomie subjective, que le film obscène viendra heurter, exemplifier, contourner, délirer.

« Un pied féminin par exemple, écrit ce polyfétichiste lecteur de Bataille, n’est réel que si le désir ne le prend pas fatalement pour un pied. »

Nous sommes une anagramme dans lequel creuse un ver – l’inconscient -, une croupe devient visage, un anus une planète en fusion.

« D’après le souvenir intact que nous gardons d’un certain document photographique, un homme, pour transformer sa victime, avait étroitement ficelé ses cuisses, ses épaules, sa poitrine, d’un fil de fer serré, entrecroisé à tout hasard, provoquant des boursouflures de chair, des triangles sphériques irréguliers, allongeant des plis, des lèves malpropres, multipliant des seins jamais vus en des emplacements inavouables. »

Quelle est l’anatomie de l’amour mon amour ?

Pour le savoir, il faut expérimenter, se dégonder, accepter le transfert dans la jouissance crissante des organes rougis au fer blanc des mots.

Hans Bellmer est-il surréaliste ? Oui, et bien plus encore.

Bernard Noël a cette fulgurance : « Les dessins de Bellmer, avec leurs anagrammes corporelles (qui ne sont pas des « déformations » à la Picasso), sont le langage qui surgit d’où l’on n’avait jamais parlé. »

Hans Bellmer, Le corps et l’anagramme, édition établie et présentée par Stéphane Massonet, avec un essai de Bernard Noël, L’Atelier contemporain, 2023, 248 pages

https://www.editionslateliercontemporain.net/mot/hans-bellmer

https://www.leslibraires.fr/livre/21642520-le-corps-et-l-anagramme-hans-bellmer-l-atelier-contemporain?affiliate=intervalle

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