Bernard Manciet, source landaise, par Serge Airoldi, écrivain, et Olivier Deck, photographe

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©Olivier Deck

« A Contis, je suis allé voir la mer. Elle flambait. Elle pesait comme du goudron. Il va certainement se passer quelque chose… » (Le Triangle des Landes, Bernard Manciet)

Je dois à Serge Airoldi une bonne part de ma connaissance des Landes et de ses trésors.

Son dernier livre, composé intégralement en duo avec le photographe Olivier Deck, est ainsi, à travers une évocation admirative de l’écrivain Bernard Manciet (1923-2005), une ode à la Gascogne et à la langue comme espace d’énergie première, les photographies participant de cette puissante en-allée unissant le territoire, la vision, et l’intime.

©Olivier Deck

Il y a chez Olivier Deck, dont la plupart des images en noir et blanc relèvent du chemin initiatique, une pudeur lumineuse, comme il y a chez Serge Airoldi une fougue verbale fouettant par les mots considérés comme des rois barbares les phrases en dérive océanique.

Manciet est abondamment cité – des passages généralement courts comme des influx de vigueur -, la poésie est au principe de tout, que l’on soit prosateur ou artiste visuel.

Intitulé Laudes aux Landes, cet ouvrage n’est surtout pas une biographie, mais une rencontre amicale avec un fantôme à qui s’adresser, dans le souvenir des rencontres passées et des objets de la maison de Trensacq où l’auteur de Le jeune homme de novembre (1985), qui fut pressenti pour le Prix Nobel de littérature, résidait.

Bernard Manciet, c’est une langue, une écriture, une oraliture (Glissant) à nulle autre pareille, d’un lyrisme proche du duende, ce cri dans le cri, fût-il muet.

©Olivier Deck

Nous vivons, chacun le constate aisément, la disparition des parlers vernaculaires, dont les poètes, fondateurs de monde, peuvent garder la mémoire en les réinventant.

Manciet écrit : « Ce qu’il y a de pire maintenant – l’Occitanie / vis d’Archimède à vide – ils t’auront, Gascogne, / abâtardie… »

Oui, comme le bzh promotionnel abâtardit la Bretagne et la diversité irréductible/ouverte de ses territoires.

Réécoutez et relisez Glenmor et Xavier Grall, vous oublierez les mercantiles, ces êtres de peu de foi.

La maison de Manciet, Olivier Deck nous le montre, accueille des ombres, et ce silence profond propice à l’écoute. 

©Olivier Deck

On peut y entendre un chant venu de Séville, du côté des tavernes de Triana, où le carbone le plus noir se transforme en diamant.

Serge Airoldi a lu Julien Gracq, et le Salammbô de Flaubert, dont la Carthage est aussi landaise.

Le feu gagne le corps, puis le paysage, puis la peinture d’Arickx d’Angresse, femme d’exception.

Bernard Manciet murmure – les écrivains majeurs sont épicènes -, comme Jean-Pierre Abraham au sommet de son phare, Paol Keineg du côté des ornières de Pont-de-Buis, ou Kenneth White marchant sur le sentier de Trébeurden : « … laissez-moi là / seule et sans aide aucune dans la bourrasque / de notre grand Vivant. » 

On lit dans L’Enterrement à Sabres : « … et nous n’enverrons plus / nos clans les uns chez les autres danser / les chemins ont disparu. »

©Olivier Deck

Ils ont disparu mais Olivier Deck les retrouve, ses paysages d’arbres ou de pluie sont des paroles d’Adour, ce fleuve-aède qu’a si bien décrit Serge Airoldi dans un livre publié en 2013.

La flaque si seule du bout du bout des Landes dialogue par son universalité de merveille avec celle qui se forme en Hokkaïdo alors que Bashô la saute, ou dans un film d’Andrei Tarkovski peuplé d’arbres ayant la tête à l’envers, comme le pauvre et génial Lenz chez Büchner.

Laudes aux Landes débonde son inconscient, dérivant à partir et grâce à Bernard Manciet, qui est un foyer de vérité dans le vaste étouffoir des temps soumis au calcul dévorant des algorithmes.

« Vous n’avez rien omis de l’homme et de l’hommerie. Vos acides sont des délices. Du minuscule grain de sable vous inventez la grande roche. Et ces cahiers posés sur la table, ouverts à Dieu et au Diable, et ce soleil qui pénètre dans leurs souvenirs intimes et tout autour ces meubles que l’on devine – comme dans un poème de Baudelaire, ils ont l’air de rêver. Connaissez-vous la poésie de Marie Krysinska, Bernard ? Saviez-vous son « vin noir des mélancolies » ? Je le devine à présent du bout de la langue, il est trop madérisé, presque amer, mais cette amertume passe et une autre saveur introduit sa mélodie. Nous passons d’une catabase de l’âme à une ptôse des organes, voilà notre lot. Nous ne saurons rien du kaléidoscope qui nous constitue et nous égare dans le même instant que nous désirions tellement jouissif. »

©Olivier Deck

Le vent, continue Victor Sjöström.

Torii, rugit doucement Olivier Deck, le plus andalou des Japonais.

Château Intérieur, énonce en s’évanouissant Thérèse d’Avila. 

José Bergamin, entonne dans une nouvelle copla Serge Airoldi dans la jubilation d’une langue mouvante comme un Indien Micmac tournant sans fin dans la nuit autour d’un feu de sagesse et de colère.

Le ventre parle : « Les Landes, c’est vrai, se prêtent aux sermons de Bossuet, à cette permanence d’éternité, une fiévreuse considération de ne venir de nulle part pour rejoindre bientôt une immensité qui n’a de sens qu’en théologie, en Mystères, en cosmogonie, en chamaneries invraisemblables. Tout cet appareil, pour dire un fagot de chemins, des forêts incendiées, des pillages de caraques, caravelles et cargos naufragés, toujours une pluie, une mer, des hommes, avec leurs troupeaux muets, qui vont, inexorablement, sur la haquenée des cordeliers, du sable au sable. Sans passé quoi qu’on dise. Sans avenir quoi qu’on puisse l’espérer. Mais du présent qui s’accumule, comme écrivait Char. Du présent toujours obscur. Une obstination méthodique, remarquable. »

©Olivier Deck

Dans l’enténèbrement en cours, il faut de toute urgence revenir aux sources pour y déposer nos gorges, tel Isaac dans sa docilité devant la lame tranchante du Patriarche.

Il faut l’eau de vérité de Bernard Manciet, il faut l’incandescence de Serge Airoldi, il faut le sens du sacré d’Olivier Deck.

Ici, au lever du jour, prions, et appelons les mânes d’autres terraqués, ainsi Guillevic et Perros.

Serge Airoldi & Olivier Deck, Bernard Manciet, Laudes aux Landes, préface de Bernard Marcadé, éditions Le Festin (Bordeaux), 2023, 128 pages

http://www.olivierdeck.fr/

©Olivier Deck

https://www.editions-contrejour.com/project/plus-vie-olivier-deck/

http://www.lefestin.net/bernard-manciet-laudes-aux-landes

Exposition Olivier Deck, à la Galerie Dom Art (Dax), fin avril-fin mai 2023 (dates à préciser)

https://dom-art.fr/

https://www.leslibraires.fr/livre/22298377-bernard-manciet-laudes-aux-landes-serge-airoldi-festin?affiliate=intervalle

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